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Domaine français Le chant funèbre de Baptiste-Marrey

mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19 | par Didier Garcia

Après les terres helléniques des Carnets des îles, un voyage dans la chair la plus intime de l’enfance. Des adieux douloureux à un univers disparu.

Si le sous-titre Poème républicain rappelle une fois de plus à quel point l’écriture de Baptiste-Marrey demeure irréductiblement partagée entre la prose et la poésie (comme nous avions pu le dire à propos de ses Carnets des îles parus durant l’automne 1995), le titre ne laisse quant à lui aucune ambiguïté : La Peau de mon enfance est bel et bien un retour aux sources, un pèlerinage bouleversant dans les territoires de la mémoire. Ce voyage intérieur propulse l’auteur dans le XIIe arrondissement de Paris (il est né à Bercy en 1928) et l’entraîne, après une brève escapade nostalgique dans le Mâconnais, sur les bords de la Bièvre, une petite rivière qui étire ses berges paisibles dans la plaine de Trappes et qui achève sa course dans les égouts de Paris. Ce n’est évidemment pas un hasard si cette promenade à vau-l’eau ramène Baptiste-Marrey dans le Paris le plus enfoui, lui qui ne cesse dans ce nouveau volume de constater (tour à tour chantant, déplorant et dénonçant) la disparition de son quartier natal.
Dès les premières lignes de la Cantate de la Bastille (ce retour aux origines est placé sous le patronage d’une musique lyrique : la seconde partie du texte est intitulée Hymne des confins), l’évocation cède très vite à la déploration : « Pierre à pierre me fut arrachée la peau de mon enfance. De cette ville-là (Paris), il ne reste rien que je puisse montrer à mes propres enfants. »
Simple désarroi devant ce vide à transmettre ou véritable détresse face à la disparition de traces identitaires ? « Je sais que, hors de mes murs, je ne suis rien. » Cette perte s’annonce donc comme une tragédie, car c’est un village totalement effacé (« La Gare de Lyon est mon village ») que découvre Baptiste-Marrey, lui qui espérait sans doute retrouver le paradis de son enfance : celui de la Place Vendôme, de la Place de l’Europe, de l’Arc du Carrousel, le Paris des vilains quartiers (« le seul vrai ») où ses aïeux, venus de l’Aveyron et de la Lozère, avaient choisi d’établir leur échoppe, de vendre leur vin et de ranger leurs bouteilles vides comme des livres empoussiérés. Un Paris insolite et presque impossible à imaginer aujourd’hui, avec ses vieux chais, ses cavistes, ses artisans, et les moulins de Valmy, à quelques foulées du bois de Vincennes.
Comment rendre ce deuil simplement supportable ? Quelle lutte opposer à cette destruction massive qui efface définitivement le passé, qui prive certains êtres, et Baptiste-Marrey en tout premier lieu, de ce que l’on nomme des racines ? La Peau de mon enfance, qui porte une déploration courroucée, se mue bientôt en un cahier de doléances pour laisser s’exprimer l’indignation, la colère et la profération polémique. Il convient tout d’abord (il s’agit là non d’une priorité mais d’une urgence) de désigner le coupable : la République, qui, afin d’accueillir les trains à grande vitesse, s’est permis de voiler la poussière, d’ériger du neuf sur l’ancien, de remplacer la vraie misère par une richesse artificielle, quitte à détruire le charme de la capitale, son passé, son histoire. Mais la République, on s’en doute, ne fonctionne pas seule ; à sa tête : « celui qui trompa (les) espoirs, quatorze années durant », alias le « Monarque assis sur la République », alias « le Pharaon des Landes » assisté de « Jack le fabuleux ». Et la satire politique, particulièrement acerbe, de fustiger tous les coupables potentiels : après l’État, les « architectes-démolisseurs à la cervelle spongieuse qui ne construisent que sur du démoli, du décombre, du gravat,virtuoses de la déconstruction » qui dessinent « avec une gomme à effacer le confrère qui construisit avant eux », les « promoteurs-bâtisseurs, élus-potentats, banquiers affairistes », à savoir tous ceux qui, au nom de la salubrité publique, se sont autorisés à éradiquer l’identité d’un quartier. Lorsque l’emportement polémique atteint son paroxysme, on devine que Baptiste-Marrey entend profiter de l’occasion pour régler quelques comptes, pour condamner au passage l’autoroute « qui enfonce son implacable verge dans le ventre de Paris » aussi bien que « le va-te-faire-foutre urbain » qui contamine jusqu’aux « hachélèmes » (h.l.m. à la mode Queneau), se gausser de l’ « appellation pompidoux contrôlée » et du « Charasse-Boulba », tancer vertement le « Sinatreux Corrézien », les « chiraco-zapatistes »… Proche de l’exhausitivité, et tirant à boulets rouges sur tous ceux qui menacent ou ruinent l’intégrité de Paris, cette liste néglige cependant (sans doute inconsciemment, à moins qu’il ne s’agisse d’un oubli volontaire) le seul coupable qui puisse être réellement tenu pour responsable de tout, celui qui, inéluctablement, aurait accompli son œuvre d’érosion et de destruction : le temps, qui altère les souvenirs, évacue de la mémoire des pans entiers du passé et qui dénature les lieux les plus familiers (surtout après un demi-siècle de labeur quotidien).
Dans les Carnets des îles, on sentait poindre l’inquiétude de Baptiste-Marrey devant ce qui est amené à s’effacer, parfois faute d’attention, une inquiétude qui s’exprimait alors à propos de Nicosie : « C’est angoissant, cette ville qui meurt, là, dans l’indifférence. » Face à ce Bercy perdu, disparu, profané, le temps n’est plus à l’inquiétude mais à la consternation : « briser les pierres, c’est aussi briser les résistances sociales, décerveler les mémoires, éclater les solidarités. »
La Peau de mon enfance s’apparente donc à un chant funèbre (la cantate et l’hymne ont la tonalité d’un thrène) qui n’en finit pas de pleurer la perte d’un être cher, irremplaçable : avec ce Bercy défunt, « Une époque est en train de finir -mourra avec moi. » Seul message d’espoir, ce point d’orgue sur lequel s’éteint cette cantate décidément bien sombre : « Des villes oubliées renaîtront. » Sans aucun doute, mais au prix de quelles nouvelles destructions ?

La Peau de mon enfance
Baptiste-Marrey

Le Temps qu’il fait
87 pages, 78 FF

Le chant funèbre de Baptiste-Marrey Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°19 , mars 1997.
LMDA PDF n°19
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