Né en 1921 sur le plateau d’Asagio qu’il ne cesse d’évoquer, l’Italien Mario Rigoni Stern s’est engagé dès 17 ans pour la Seconde Guerre mondiale. La traversée du conflit, son emprisonnement par les Allemands, son évasion ont nourrit son écriture attachante et humble qui professe que « sur le monde, nous sommes tous du même village » (Rencontre en Pologne). L’écrivain n’en a jamais eu fini avec la guerre. Dans ce recueil de neuf nouvelles, La Chasse aux coqs de bruyère, il arrive souvent que les personnages croisent les traces des deux conflits mondiaux. Morceaux de fer que l’on déterre des montagnes pour les revendre, au risque de sauter sur un obus, souvenir de l’assassinat d’un bûcheron par les nazis, mort d’un neveu chasseur alpin. Étrangement, pour oublier la guerre les personnages des nouvelles (on ne saurait parler de héros) font confiance à leur fusil. Fusils de chasse pour les coqs de bruyère, les faisans ou les lièvres, préparés bien avant l’aube, mis à l’épaule tôt le matin quand le jour n’est encore qu’une promesse. La chasse revêt chez Rigoni les aspects d’un chant à la terre et à la nature et permet aux petites gens dont il est ici question de se libérer du joug des puissants : « la terre, l’air, l’eau ne se connaissent pas de maître, mais appartiennent à tous les hommes, ou mieux encore à ceux d’entre eux qui savent se faire terre, air, eau et se découvrir partie de toute la création. » Les parties de chasse, aux accents parfois aussi mystiques que la poursuite de la baleine blanche nécessitent beaucoup de silence.
Les hommes communiquent par gestes, ils comprennent les chiens et savent lire les traces des renards. Ils lisent dans la nature comme dans un livre sacré, comme dans les entrailles d’où ils naquirent. Avec une rare simplicité, l’écrivain nous donne à sentir la neige des montagnes, la mousse sur laquelle les hommes aiment à s’étendre, le vent que font les ailes des coqs en fuite. C’est le sentiment de la terre qui surgit à chaque page, qu’il y soit question de gibier ou d’exil en Amérique. Et parfois, dans cette quête d’un bonheur terrestre, l’auteur touche au sublime. Ainsi, dans la deuxième nouvelle du recueil où un homme solitaire tente d’abattre un vieux coq des bruyère mythique. Mario Rigoni ouvre sa nouvelle par le point de vue de l’ami et glisse imperceptiblement à celui du chasseur. Lorsqu’il nous donne à voir ce que voit le coq au moment de la chasse, le pari est gagné : nous sommes tous, humains ou animaux, du même village.
La Chasse aux coqs de bruyère
Mario Rigoni Stern
Traduit de l’italien par Georges Piroué
10/18, 230 pages
Poches Simple émotion (La)
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Thierry Guichard
Un livre
Simple émotion (La)
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.