Bruno Gay-Lussac s’est éteint l’année passée, après une longue maladie. Avec Un cri de solitude, ouvrage posthume et inachevé, la vie d’Arion, qu’on avait pu voir, dans le livre qui porte son prénom, se resserrer comme un noeud à la mort de son frère Ring, dure encore quelques temps, jusqu’à ce point ultime qui le confondra à la tombée du soir. La vie d’Arion se termine ainsi pour nous, dans la dernière étoffe d’une famille vouée à l’infortune, et de lui, de ce gamin sauvage, réfractaire à l’école, ouvert aux grands mouvements des arbres dans le vent, de lui qui sut sentir comme les bêtes le danger, on ne saura plus jamais rien. Dans Arion, cet enfant, si proche de celui qui traverse Le Voyage enchanté, vit à la campagne, se perd dans les bois, se griffe aux ronces, regarde son frère Ring, souffre de sa mort, survenue après le heurt en pleine tempe d’une balle de cuir. Dans Un cri de solitude, la famille est à Paris et Arion fréquente une école privée, la seule qui voulut bien de lui. Il y rencontrera Roselin, fils unique de grande fortune : « Il porte une cravate, des vêtements exactement à sa mesure et une fine chevalière au petit doigt ». Ce sont ces liens, entre une famille qui lui est étrangère et le fiasco de ses propres parents, qui vont désormais occuper toute les pages de ce récit. Toutefois, il ne se retourne pas sur une problématique de lutte des classes. Bien au contraire, Bruno Gay-Lussac ne fait que creuser le mystère qui voue Arion à être un seul cri de solitude parmi des milieux qu’il n’aura jamais compris. Même le rêve qu’il a de s’éprendre de la mère de Roselin sera saccagé, renvoyé à sa terreur dans un « Disparais ! Rentre chez toi ! ». Arion s’en va comme les récits de Gay-Lussac, avec la neige, la solitude du soir. Et s’il ne s’épargne pas dans sa propre vérité, nous garderons grande sa vie inachevée en nous.
Un cri de solitude
Bruno Gay-Lussac
Gallimard, 94 pages, 80 FF
Domaine français Dernière neige avant la nuit
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Dernière neige avant la nuit
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.