Avec son deuxième recueil de nouvelles (après Le Second Enfant, La Différence, qui obtint le prix Prométhée), Dominique Mainard, 30 ans, confirme son talent de conteuse. Le Grenadier offre neuf nouvelles aussi envoûtantes les unes que les autres, dans lesquelles on pénètre chaque fois comme dans une chambre mystérieuse. C’est que Dominique Mainard aime semer le trouble en jetant dans ces récits au contexte réaliste une pincée de merveilleux. Non pas un merveilleux fantaisiste et clinquant, mais une sorte de diffraction du temps et des choses qui fait glisser chaque personnage de l’autre côté de sa conscience. Dans l’interstice que l’auteur entrouvre entre imaginaire et réalité, se glisse la nature profonde des personnages, leurs angoisses, leurs souffrances. Et cela nous est donné avec une tranquille assurance. Ainsi dans Agota, ce passage où l’institutrice sort de l’école : « (…) Agota aperçut son père. Il avait les mains dans les poches d’un imperméable sombre, son visage était jeune et beau comme un soleil, mais il n’avait jamais été vieux. Il était mort quand Agota avait quatre ans. » Ailleurs, c’est une femme qui toute sa vie entendra, chaque nuit, un visiteur dans sa maison. Elle lui tendra des pièges dérisoires (clochettes aux portes, tapettes à souris) mais jamais elle n’essaiera de le voir. Ailleurs encore c’est un mari que sa femme quitte et qui plante un grain de grenade trouvé dans ses excréments. Le grain donnera naissance à un grenadier qui grandira dans la vie de l’homme. Avec Dominique Mainard, il s’agit toujours de solitudes qui ne disent pas leur nom, d’errances mentales à la lisière de la folie. Pour servir ses histoires étonnantes, l’auteur utilise une langue belle et imagée qui fait encore le pari de la poésie. Le plus fort, c’est qu’elle parvient à éviter le ridicule du guimauve. Du grand art.
Thierry Guichard
Le Grenadier
Dominique Mainard
Gallimard, 138 pages, 85 FF
Domaine français Les interstices de la solitude
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Thierry Guichard
Un livre
Les interstices de la solitude
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.