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Histoire littéraire Georges Hyvernaud, écrivain citoyen

juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20 | par Philippe Savary

Un numéro de la revue Plein chant (témoignages, inédits, oeuvre critique) et la réédition de Le Wagon à vaches : un double hommage à celui qui racontait la condition humaine avec une infinie authenticité.

Plein chant N°61-62 (Georges Hyvernaud)

C’est souvent la même histoire quand il s’agit d’écrivains avec lesquels on se sent proches et que les manuels ont négligés. On a tendance à vouloir les réhabiliter, en consignant leurs témoignages, pour qu’ils assurent eux-mêmes leur propre défense. On décortique les textes, on fouille l’oeuvre, on recense leurs humeurs, à la recherche de quelques vertes sentences, pleines de ressentiments sur la médiocrité de leurs contemporains. Avec Georges Hyvernaud (1902-1983), la partie est perdue d’avance. « Je ne nourris pas d’illusions. On ne me lira pas dans cent ans, ni dans dix. (…) Triompher des siècles ? Mais il faut travailler dans le bronze ou sur le marbre, pas sur les mots (…) lorsque on rêve de durer, on pense à un adolescent enthousiaste, à une ardente jeune femme. Et on n’aurait à faire qu’à des pédagogues et des écoliers. »* Tout comme ses livres, Georges Hyvernaud était d’une grande modestie et d’une extrême lucidité. Ironie aussi, quelque peu désenchantée. La littérature ? Elle s’adresse « à quelques douzaines d’originaux qui ont des loisirs, un fauteuil, le goût de la solitude et l’horreur du bruit », s’est-il plu un jour à noter. Attentif aux êtres, à leurs souffrances, à leur dignité, à leurs manières de s’arranger avec la vie, Hyvernaud était animé d’un humanisme à fleur de peau, avec cette petite pointe d’idéalisme attachante : il a toujours pensé que la culture -et ce conférencier savait de quoi il parlait- pouvait sauver l’homme de sa condition. Hyvernaud n’a jamais cherché les honneurs, méfiant et un peu revêche derrière ses lunettes à verres épais. Sartre et Les Temps modernes lui offriront pourtant l’hospitalité en 1946, qu’il déclinera. Toute sa vie, il l’aura consacrée à la littérature en l’enseignant à des générations d’instituteurs, à Arras, à Rouen puis à Paris. Déjà, à l’âge de 14 ans, rappelle sa femme, Andrée Hyvernaud, à qui la revue Plein chant a confié la direction de ce dossier hommage d’une très grande richesse, le futur professeur d’École normale assurait le cours de français à ses petits camarades pendant que le maître révisait sa licence dans un coin de la classe. Plus tard, de 1958 à 1972, Hyvernaud collaborera à Plaisir de lire, une collection à l’usage des collégiens, lancée par les éditions Armand Colin et dirigée par Jean Guéhenno. Critique également, ses articles étaient d’une étonnante sagacité. Stendhal et Montaigne avaient sa préférence, sans oublier Kafka et « notre frère Charlot », deux témoins importants de l’absurdité de notre quotidien.
Il a donc fallu attendre ces dix dernières années (grâce à Ramsay, Seghers et Le Dilettante) pour que les oeuvres complètes de Hyvernaud soient enfin disponibles. Deux de ses livres furent publiés de son vivant, largement autobiographiques, que l’histoire -peu soucieuse de contempler ses propres infirmités- préféra ne pas retenir. Jugés politiquement incorrect. Trop brutal, trop trivial. Lui, la grande histoire, il ne l’a pas oubliée. Elle aura eu au moins le mérite de révéler une oeuvre à venir. Le lieutenant Hyvernaud fut emprisonné dans un oflag de 1940 à 1945. Il y connut l’humiliation, la résignation, le dépouillement de soi : La Peau et les os (1949) est le récit de sa captivité ; Le Wagon à vaches (1953), le journal de l’après-libération. Deux livres indissociablement liés par un même écoeurement. La déchéance contée à ras d’homme, sans fards, ni douleurs. Une description frontale de la réalité, en demi-teinte, à contre-jour, avec des phrases limpides et sèches qui claquent au visage des survivants. Deux récits d’une lente lobotomie : celle d’un homme cassé, vaincu, l’âme hébétée, une tumeur partout le corps, impossible à dissimuler : « Nous avons pris nos plis. Nous ne nous défriperons plus. » Le narrateur du Wagon à vaches est un « pauvre type ». Il est comptable chez Busson Frères, Eaux gazeuses. Sa vie est morne, bien loin du « complet sport » et des « bonheurs vernis ». Il en bave et continue d’en baver, remontant à contre-courant le cours d’une époque poisseuse, aussi enfumée qu’une arrière-salle de bistrot. Un destin de pierre. Une grenouille dans un bocal. L’écrivain s’en excuse : « La vie manque de romanesque quand on est obligé de la gagner. » Quelqu’un que l’on a parqué pendant cinq ans ne peut que claudiquer sa vie durant. « On marche, on marche, et au bout du compte on n’est pas plus avancé. » Alors, il fait croire à ses voisins qu’il écrit un livre, pour gagner du temps, pour avoir une occupation, faire son chemin, comme les autres. Les autres, c’est Bourladou, l’entrepreneur en maçonnerie, emmaillotté dans ses conformismes de petit bourgeois ; c’est le député Flouche que l’on soupçonne de culbuter la veuve Louchère ; c’est la floppée de trouillards, de courageux qui baissent la tête ou haussent la voix en attendant le passage de l’équarrisseur. C’est aussi l’heure des grands débats. Marécasse est mort à Dachau. Il aurait été dénoncé par la Gestapo. Sa femme couchait avec « un Boche ». « C’est un monument aux Résistants que nous voulons élever, ou un monument aux cocus ? », clame-t-on au café du commerce.
Le Wagon à vaches est le récit d’un captif des temps modernes, englué dans un présent anémié et sans lendemain. C’est le constat amer d’une société alvéolée, fondée sur l’éphémère et l’efficacité dans laquelle les moins costauds sont laissés sur le bas-côté. À sa façon, avec un ton toujours pince-sans-rire, Hyvernaud place son regard sur la face pourrie de l’humanité. Et ce n’est pas les larmes qui lui viennent, mais la pitié et la révolte. Aujourd’hui, à une époque où règne la vacuité idéologique, son oeuvre est salutaire parce qu’elle évite tout écueil consensuel. Sans prendre les armes, juste la plume, le citoyen Hyvernaud organise la contre-résistance : un énergique plaidoyer pour la libération de l’homme par l’homme. Au moment de voter (?) la loi sur la cohésion sociale, ce monsieur aurait eu sûrement deux ou trois choses à dire.


Philippe Savary


* Feuilles volantes, Le Dilettante, 1995

Georges Hyvernaud
Plein chant N°61-62
184 pages, 90 FF
16120 Bassac
Le Wagon à vaches
Le Dilettante, 208 pages, 99 FF

Georges Hyvernaud, écrivain citoyen Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°20 , juillet 1997.
LMDA PDF n°20
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