Remarques et Chaussures, les deux premiers livres de Nathalie Quintane, s’emploient à mettre en évidence les évidences. Pour un étonnement.
Dans Remarques, Nathalie Quintane, en de courts fragments, s’attache à nous révéler des instants en apparence insignifiants, des détails de nos vies ordinaires : en voiture, à la maison, dans les simples sensations de nos corps. Dans Chaussure, cette entreprise est poussée encore plus loin, d’une manière plus systématique. Devenue l’objet central d’un livre qui pour être de poésie n’en est pas spécialement poétique, la chaussure s’y voit décrite sous tous ses angles, sous ses multiples aspects : dans l’affirmation réitérée des plus limpides évidences, pour le bonheur que c’est parfois de voir ce qui est, ce qui simplement est, et que nous n’avions pas ou plus su voir :. Découvrir à son pied une existence que nous ne lui soupçonnions pas. Le sortir de l’ombre où la chaussure l’enferme.On pense à Francis Ponge bien sûr, dans cette insistance, dans cette manière qu’a l’écriture de ne jamais lâcher prise, de toujours revenir à son objet. Mais le travail ne se fait peut-être pas tant ici dans le langage qu’à travers une opération de la conscience, une sorte de révolution mentale qu’on nous propose, à mettre en avant, clairement sur la page et dans les multiples facettes d’un récit fragmenté, cette partie du corps la plus éloignée de notre cerveau, cet objet le plus étranger à notre conscience ordinaire. Radicale modification du point de vue. Consistance donnée à l’inconsistant. Mais inquiétante étrangeté aussi bien. Ainsi mis en évidence, le plus évident devient l’objet de toutes les conjectures, des méditations les plus vertigineuses :
Même si, et sur ce point aussi Nathalie Quintane se veut très claire, une chaussure n’est pas une rose, même si toutes les chaussures ne se ressemblent pas, loin de là -il est question ici aussi bien des escarpins mauves d’Imelda Marcos, des caliga de Caligula que des tongs de notre enfance-, une part du bonheur que nous apporte ce livre tient dans son principe d’insistance, de répétition, de variation sur un seul thème, dans sa composition sérielle pourrait-on dire. Une chaussure est une chaussure est une chaussure, etc. L’énoncé d’identité, avec toutes les variantes qu’il permet, fait la poésie de ce texte, et l’allégresse qu’il procure.De fait, ces deux livres ont quelque chose du plaisir que nous prenons au bavardage, aux proférations les plus vaines, les plus inutilement joueuses. De fait, et cela ne va pas sans une certaine mélancolie dans la légèreté, le monde de l’enfance y a sa part. Chaussure est comme Noël dès lors, ce moment où on dispose nos chaussures, : l’enfant, levé la nuit, les voit encore vides au pied du sapin, il surprendra peut-être une présence inédite de ses chaussures. Dans une présence inédite à nous-même aussi bien. Dans la possibilité d’un étonnement.Ainsi, Remarques nous ramène à ce que pourrait être un regard d’enfant, mais sans mièvrerie, au plus intime, et sans la surcharge poétique habituelle :.Sur le mode de l’assertion sentencieuse, qui instaure une joyeuse ironie, c’est un monde où la surprise est toujours permise, offerte :, ou bien :.C’est assez désopilant et parfois grave. C’est franchement zen. C’est le monde où nous pourrions vivre.
RemarquesNathalie Quintane
Cheyne Editeur60 pages, 80 FF
ChaussuresNathalie Quintane
P.O.L152 pages, 95 FF
Poésie A portée de pieds
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Xavier Person
Des livres
A portée de pieds
Par
Xavier Person
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.