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Domaine français Le chant du signe

janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22 | par Éric Dussert

Maurice Roche s’est éteint cet été. Figure de la littérature expérimentale, il a composé ses livres comme une farandole hirsute et macabre.

Grande humoresque opus 27

Pardonnez-moi mon fils

Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil

Dans la catégorie des Irréductibles, Maurice Roche se pose un peu là. Pour reprendre la formule de José Corti, il n’a « Rien de commun ». Toute sa bibliographie, soit une trentaine d’ouvrages, repose sur le paradigme du livre comme espace de liberté. Et des libertés, il en a prises. La critique aussi qui place son œuvre quelque part -mais où ?- entre Tel quel et l’OuLiPo… Gare aux effets de mode. L’auteur de CodeX ou de Macabré ne s’est jamais imposé de contraintes telles que les a définies le groupe de Queneau, Perec et consorts. Maurice Roche a fourbi les siennes propres dans les thèmes existentiels de la mémoire, de la maladie et de la mort.
La publication concomitante de trois textes posthumes en apporte la démonstration tout en éclairant la biographie d’un auteur marginalisé. Grande humoresque opus 27, Pardonnez-moi, mon fils et Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil s’offrent sur des modes différents mais suivent le même propos. Malgré le désordre de la mémoire, Maurice Roche « enterre les souvenirs. On les met auparavant en conserve, on les surgèle dans un petit parallélépipède rectangle -mise en abyme de dalle funèbre. » Le premier est un « roman (?) », c’est-à-dire qu’il est composé de courts récits, d’aphorismes et de coq-à-l’âne. La couverture rouge sang de Pardonnez-moi, mon fils enveloppe le dialogue du moribond Mezigo avec le Père Toupuissant, confesseur bavard dont les propos ponctuent aussi Grande humoresque. Ce prêtre, Maurice Roche se l’est « bricolé » pour « confesser » un parcours d’écrivain qu’il illustre sur le ton de l’impuissance mais dans un état d’esprit stoïque voire désinvolte. Le dernier livre enfin porte les mémoires « officiels » du « jeune Maurice » qui rappelle à la troisième personne sa « basse enfance », les figures de ses père et mère disparus.
Les trois volumes constituent une nouvelle introspection. Une telle définition n’implique pas qu’ils coïncident avec ce que l’on recense sous le terme parfois frelaté d’« autofiction ». Si les écrits de Maurice Roche sont marqués par la tragédie humaine, ils ont l’élégance de ne pas recourir au pathos. Parfois amers ou résignés, ils développent, outre l’intérêt visuelle de compositions typographiques héritées des lettristes -on pense aux travaux de Jérôme Peignot- une philosophie aquoiboniste digne d’un grand humoriste.
Maurice Roche est né le 4 novembre 1924 à Clermont-Ferrand où son père est un employé des usines Michelin. « Je suis né, en effet, le jour des Morts. Au-dessus d’un magasin d’articles funéraires dont la raison sociale a l’immortel expliquerait mon aspect provisoire (…). Place Gaillard, voilà pourquoi je suis si costaud. » En fait, l’enfant est maladif. Il suit ses parents dans leurs déménagements successifs à Valence, Chalon-sur-Saône et Lyon. Il manque à plusieurs reprises de mourir. Plus tard, il fait des études de musique à Paris. Sa première intervention artistique est la création d’une partition musicale pour les Epiphanies d’Henri Pichette qui sont représentées en 1947 par Gérard Philippe et Maria Casarès au théâtre des Noctambules. Lorsque paraît un premier livre aux éditions du Seuil en 1960, un essai sur Monteverdi, il est journaliste. Ce sont les années de vache maigre. Il réveille dans Un petit rien-du-tout tout neuf… la bohème qu’il a partagée avec Edouard Glissant et dans Grande humoresque opus 27 ses débuts auprès de Sollers, Jean-Pierre Faye et Marcelin Pleynet. C’est aussi le temps des audaces : Marc Saporta publie sa Composition n° 1 sur feuillets interchangeables (Le Seuil, 1962), les Situationnistes relisent le monde… Dans cette effervescence, Maurice Roche opte pour une rupture de la narration traditionnelle. En 1966, il frappe un grand coup avec Compact, sa toute première fiction que les éditions Tristram viennent de rééditer en sept couleurs. (En 1994, ces mêmes éditions ont produit un Compact-disque : la lecture par Roche lui-même de ce texte remanié).
Dans les ouvrages suivants, il poursuit l’examen des rapports qu’entretiennent un texte, son titre et l’image. « Romancier », musicien et dessinateur, il couvre Opéra bouffe (1975) ou Maladie mélodie (1980) de croquis, de portées de notes, de dessins de chats et de crânes, de calligrammes et de mots-valises qui concourent à dévoiler la face cachée du langage. La magie du verbe, il la trouve dans les potentialités riantes de la contrepèterie ou du calembour, dans l’aporie et autres astuces syntaxiques. « Mystique en diable, il avait vendu son âme au démon pour être sauvé en vertu de la foi. »
Il s’est expliqué dans CodeX : « Je tente de me/ fabriquer (hors de moi) une/ grande machine infernale et/ co(s)mique. » Tout en recourant au formalisme, sa fabrique de textes ne tourne pas au procédé. Bien au contraire. Elle se fait l’écho de préoccupations universelles : destinée, absence, corps, pulsions, sénescence (« c’est naissance »), mort… cette dernière lui suggèrant l’essentiel de sa prose comme ses accents cyniques. Dans le cycle de la naissance, de la maladie et du trépas - « Ce qu’il faut être con pour trépasser » -, Roche est un clown tragédien qui attend une mort annoncée depuis soixante-treize ans. Elle est survenue le 19 juillet 1997.
« Ma seule jeunesse est désormais ma phrase » a-t-il écrit. Marginal des Lettres, il était un original plus que parfait. L’œuvre qu’il a façonnée à grands coups de ricanements, de jubilations et d’acrobaties langagières l’impose comme un de ces auteurs « fin-de-siècle », ces « fumistes » -au sens des années 1880- qui fleurissent dans la dérision en marge des académismes. A d’autres le post-modernisme barbant. Roche est riche, plein d’aspérités et d’énigmes. Ses jeux et ses provocations magnétiques n’ont pas fini d’attiser la curiosité. Celle des lecteurs à venir mais aussi celle des critiques qui vont piétiner après Michel Pierssens (Maurice Roche, Editions Rodopi, 1989) et Jean Paris (Maurice Roche, « Poètes d’aujourd’hui », Seghers, 1989) un champ de mines qui n’ont pas toutes explosé.

Maurice Roche
Grande humoresque opus 27

Le Seuil
208 pages, 130 FF

Pardonnez-moi, mon fils
Clémence Hiver
(BP 13, 30 610 Sauve)
55 pages, 75 FF

Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil
Gallimard
123 pages, 75 FF

Le chant du signe Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°22 , janvier 1998.
LMDA PDF n°22
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