Pour parler de la poésie de Patrick Wateau, il faudrait raconter une histoire bien connue, à laquelle nous ne refuserons pas de croire : à l’origine, notre monde n’était qu’harmonie, nature et pensée s’y accordaient parfaitement, et toute parole prononcée se coulait dans ce règne de beauté et d’innocence. Vint la suite de l’histoire tout aussi connue : celle de la chute, du déclin de l’homme, mais surtout, dans ce qui a survécu, d’une parole jadis ancrée dans la pureté et maintenant blessée, cassée, incertaine dans la moindre métaphore qu’elle tente de créer, déchirée dans ce qu’elle souhaite prononcer. « Nihil et pour néant/ choses légères privées de nom/ ou le nom est privé/ mais nul ne peut apprendre davantage », écrit Patrick Wateau dans Rien simple ou pur, un recueil dont le titre énigmatique laisse percevoir, au côté des Douze questions de mendicité, une inspiration religieuse et tourmentée. Cette poésie pose d’emblée le désir de s’incarner alors que la parole qui pourrait aider à cette incarnation n’est que miettes et lambeaux. Cette langue souvent aride s’articule comme une marionnette tentant de rassembler ses membres, ne sachant jamais si elle parviendra à son but. Le rythme donné aux vers, cet entrechoquement incessant crée une musicalité rare dans la poésie française qu’on peut rapprocher de certaines musiques contemporaines. Des mélodies sourdent dans ces deux ouvrages, des chants que le langage dans son impossible réconciliation avec le monde tente d’atteindre : « Les mûres des ronces/ peaux mortes de la tête.// Les petites marguerites des champs,/ Dieu, miel et mie/ de pain ;/ d’autres disent qu’on le trouve rongé,/ la mie de pain en miettes.// Ou mal des tranches crues de viande,/ les épaules trouées,/ mâchées à jeun/ sur le clou de la faim. » Ces qualités nous rendent précieux cet écrivain pour de prochains rendez-vous. Là aussi, on attend la suite de l’histoire.
Patrick Wateau
Rien simple ou pur et
Les Douze Questions de mendicité
Éditions Unes
Non paginés, 78 FF et 69 FF
Poésie Après la chute
janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22
| par
Marc Blanchet
Des livres
Après la chute
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°22
, janvier 1998.