Invité à dîner chez les parents de sa belle pour la première fois, un homme reste coincé aux W.C. toute la soirée parce que « la merde monstrueuse » qu’il vient d’y déposer surnage obstinément. A grands coups d’eau, de balayette et finalement avec les mains, l’homme bataille avec ses déjections en même que lui reviennent en mémoire tous ses démons passés. Absurdement grotesque, ce Conte de l’étron ravit le lecteur et ferait à coup sûr la joie des psychanalystes. Dans le même genre, Les Mouches -sinistre allégorie du pourrissement des rapports amoureux- dépasse nos cauchemards les plus kafkaïens. Au rang des meilleurs textes de ce premier recueil de nouvelles de Hanif Kureishi, on citera encore Ta langue au fond de ma gorge, terrible récit d’une adolescente paumée entre la banlieue grise de Londres et les villas bourgeoises de l’Inde natale du père absent.
Après deux romans à succès (Le Bouddha des banlieues, Black Album) et d’excellents scénarios (My beautiful Laundrette, Sammy et Rosie s’envoient en l’air), Hanif Kureishi, écrivain anglais d’origine indienne, poursuit sa chronique tragique et drôle du Londres fin de siècle, pétri de misère sociale et de haines raciales. D’un texte à l’autre, ce sont les mêmes hommes et femmes démolis par l’alcool, les drogues et les illusions perdues, les mêmes accidentés de l’amour qui se débattent avec la vitalité du désespoir. De qualité très inégale, cette nouvelle livraison (dont My son the fanatic vient d’être porté à l’écran par Udayan Prasad) confirme néanmoins Kureishi au rang de la nouvelle et prometteuse génération d’écrivains britanniques. On regrettera par moment le côté un poil branché de cette écriture très cinématographique.
Des bleus à l’amour
Hanif Kureishi
Traduit de l’anglais
par Géraldine Koff-d’Amico
Christian Bourgois
316 pages, 130 FF
Domaine étranger La vitalité du désespoir
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Maïa Bouteillet
Un livre
La vitalité du désespoir
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.