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Domaine étranger Ecrivain poisson-chat

septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24 | par Dominique Aussenac

Trois ouvrages, contribution de glaise au Golem de mots que Jérôme Charyn pétrit pour s’affranchir du réel et retrouver l’enfance.

Capitaine Kidd

L’humain comme matériau de base. Pas n’importe quel humain, de préférence l’humain bancal, balafré, atypique, voilà sur quoi Jérôme Charyn travaille. La soixantaine élégamment portée, l’écrivain, rencontré lors du premier festival du roman noir organisé à Frontignan (34) par l’association Soleil noir, affiche une nervosité toute enfantine, toute juive new-yorkaise quand il précise : « L’atypique, le bancal, parce que c’est l’aboutissement d’un processus humain, ce n’est pas nécessairement l’humain pour lui-même qui m’intéresse. » Il va même jusqu’à parsemer son œuvre abondante, plus d’une trentaine de romans, scénarios de B.D, essais sur la littérature policière, de monstres sympathiques, leur conférant une dimension toute mythique, archaïque au sein de la plus complexe modernité. Ainsi dans un de ces premiers ouvrages Cul bleu (Balland) invente-t-il sur un campus américain, au moment de l’opposition à la guerre du Vietnam « une mythologie gitane. Des gitans avec une queue bleue. Ces gitans, c’est l’envers de l’amérique protestante qui n’aime pas le juif, qui n’aime pas le noir, qui n’aime pas l’autre. » Professeur de littérature policière et d’esthétique du cinéma à l’Université américaine de Paris, il aime à superposer, mélanger les cultures, les effets boomerang de l’histoire en sa ville New York : « C’est la revanche de L’Ancien Monde sur le Nouveau. New York est vraiment une ville européenne. » Charyn développe une animalité, une manière féline de se faufiler dans des structures concentrationnaires, des organisations, des rapports de pouvoir, des mondes où crime et trahison règnent, broient l’humain. D’ailleurs le poisson-chat (titre d’une étrange autobiographie fictionnelle (Seuil)) est son animal fétiche. « Le poisson-chat, c’est l’écrivain, mais c’est aussi la plasticité du langage. C’est un dieu extraordinairement pervers, venimeux. Le poisson-chat, c’est l’autre côté du miroir, l’animal emblématique de toutes les métamorphoses que l’écrivain peut mettre en scène dans le roman… C’est la fiction. Un jeu très sérieux, très raffiné. »
Jérôme Charyn vient de publier trois ouvrages : deux nouvelles qui illustrent des tableaux de Paul Klee pour Sinbad (Flohic) et des photographies de sans-abri d’Olivier Coulange pour Princess Hannah chez Actes Sud, ainsi qu’un roman Capitaine Kidd (Fayard). Avec Sinbad, Charyn réactive son célèbre flic, Isaac Sidel, devenu ici maire de New York et probablement vice-président des Etats-Unis. Très populaire, homme de terrain, sincère et opiniâtre, Sidel doit faire élire président J. Michael Storm, « tsar du base-ball », ancien mao, aux méthodes mafieuses. La fille de Storm est enlevée. Le nez en sang, notre homme, le héros le plus martyrisé, le plus trahi de toute la littérature policière poursuit une enquête dans un univers où politique, police, corruption sont intrinsèquement liées. Au fil des pages, texte et tableaux de Paul Klee, oniriques, empreints d’une grâce toute enfantine s’interconnectent. Le travail du peintre, sa manière de casser les structures, en détournant par la couleur, le rajoût d’un infime détail incongru et poètique, l’élimination ou la continuation arborescente de lignes trouvant un écho dans la nouvelle. Les deux artistes se rejoignent dans un désir d’émancipation, de désaliénation par le rêve, la facétie, l’émotion. La nouvelle de Charyn n’étant qu’un prétexte pour évoquer l’humanité de Sidel au cœur de l’immonde.
En noir et blanc, parsemées de gros plans de visages, corps, postures, les photographies de sans-abri d’Olivier Coulange ne révèlent pas uniquement la souffrance et l’exclusion, elles montrent des instantanés bruts de vies, évoquent des histoires avec gravité, respect, pudeur. Complice, Charyn raconte une chute et une rédemption par l’amour. Harrington, dans la lie, au plus bas s’éprend d’Hannah, madone des S.D.F., couverte de cicatrices, ébouillantée par son mari. Charyn sculpte ses personnages, les pétrit, les polit, invente un au-delà à la misère en les dotant d’une sur-humanité, qui fait de cet ouvrage par sa briéveté, sa noirceur, la vérité de ses dialogues le plus abouti des trois. « Enfin, dit Harrington, on ne jette pas des pots d’eau bouillante à la tête de sa femme parce qu’on est jaloux. Bien sûr que si. C’est toute la fragilité des relations humaines. C’est un philosophe à la con qui t’a dit ça ? Non, répondit le Furet. Les gens n’arrêtent pas à se faire du mal… C’est le mauvais côté de l’amour. »
Capitaine Kidd évoque une autre quête d’amour lors de la Seconde Guerre mondiale. Un jeune officier américain poursuit les Allemands dans leur débâcle, avec son escadron de militaires de couleur. Il est riche, beau, intelligent, malhonnête et juif. Son supérieur hiérarchique n’est autre que le général Patton, héros sympathique et raciste. Charyn précise : « J’utilise la Seconde Guerre mondiale comme un rêve de guerre, c’est pas vraiment un roman qui touche la réalité, c’est simplement que j’ai grandi pendant la guerre et je voulais utiliser un personnage comme le général Patton qui était antisémite, raciste envers les noirs et avait une personnalité formidable. Je voulais travailler sur les ambiguïtés d’un héros. L’ambiguïté du héros lui-même. Patton était un fantastique héros de cette Seconde Guerre mondiale mais il y avait une faille chez ce personnage. » Conteur, Charyn ici, avec des pirates, un ogre sympathique, une fée, un petit monstre échappé d’un bordel militaire génère les images à la manière d’un cinéaste. « Je travaille comme un metteur en scène, avec les mots qui deviennent des images. J’ai grandi avec le cinéma, la relation entre les images et les mots est très importante pour moi. Les images sont capturées dans les mots. Les mots génèrent des images sur grand écran. J’ai travaillé avec le cinéma. Mais être metteur en scène est impossible pour moi. Je suis un metteur en scène de mots. »
En trois ouvrages, Jérôme Charyn, écrivain poisson-chat, renverse icônes et idées reçues, mêle les êtres et leurs ambiguïtés, parle toujours d’humanité et porte le lecteur dans un souffle quasi-mystique, quasi-mythique ; celui de l’aventure, celui de l’enfance.

Jérôme Charyn
Sinbad

Traduit de l’américain
par Marc Chénetier
Flohic
92 pages, 98 FF

Princess Hannah
Traduit par Jeanne Guyon
Actes Sud
94 pages, 98 FF

Capitaine Kidd
Traduit par Marc Chénetier
Fayard
144 pages, 89 FF

Ecrivain poisson-chat Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°24 , septembre 1998.
LMDA PDF n°24
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