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Nouvelles Le trou dans le mur (nouvelle d’Arlette Fétat)

mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26

Arlette Fétat vit à Bagnols-sur-Cèze dans le Gard. Infirmière de profession, elle a publié en 1996 un recueil de poésie aux éditions de la Bartavelle, un roman, Funérailles Show, en 1997 aux éditions du Ricochet où elle vient de participer au roman collectif 13, rue des chevaliers du mail, qui se passe à Montpellier. Elle aime Genet, Michaux, Carver, Heiner Müller… Derniers livres achetés : Traité des passions de l’âme d’Antonio Lobo Antunes (Bourgois), et la poésie de Gertrude Stein (Textuel).

Quand le morceau du mur du coin Est de notre salle de bains s’est effondré, le soleil a pu enfin entrer dans ce lieu qui était très humide. Et une fois les gravats retirés de la baignoire, nous avons eu la joie de pouvoir y prendre des bains de soleil. C’était presque devenu un snobisme de notre part que d’attirer nos invités au fond de l’appartement, et mine de rien, de leur laisser respirer le bon air par ce trou tout biscornu, qui ne ressemblait en rien à une fenêtre. A chaque fois c’était pareil : dès qu’ils avaient compris qu’il s’agissait d’une anomalie due à une construction vétuste, les invités regardaient brusquement leurs pieds comme si ceux-ci devaient immédiatement traverser le plancher. Alors, nous faisions remarquer qu’on était au rez-de-chaussée, en oubliant -par amitié- le nombre exact des caves bien plus humides que notre salle de bains et qui creusaient le sol sur toute la surface souterraine.
Il faut savoir recevoir ses amis quoi qu’il arrive. Et je persiste à dire que c’est la faute du propriétaire qui n’a rien voulu savoir de la fissure exemplaire de la salle de bains -d’une part- puis qui n’a rien voulu réparer du trou dans le mur une fois constitué -d’autre part- si un après-midi, à la suite d’un bon café bien arrosé avec la collègue de travail de mon compagnon, collègue qui semble tout savoir au sujet de tout, je l’ai vue disparaître d’un coup en direction des caves sans prendre la peine d’utiliser les escaliers prévus à cet effet. Il est à noter dès à présent qu’un éboulement ne fait pas autant de bruit qu’on le croit. Ils exagèrent beaucoup sur les bandes sons des films catastrophes, sans doute pour effrayer davantage les spectateurs. Je peux vous dire que chez nous, l’éboulement vers la cave a fait plus de poussière que de bruit. Juste un petit pchcrrrflaccroa-sleuhshhh. C’est tout. Ceci explique que mon compagnon n’ait rien entendu, d’autant que ça s’est passé juste au moment du dernier tir au but d’un match de foot soi-disant extrêmement important. Ceci explique aussi que le cri de son extraordinaire collègue de travail n’a pas été distingué des cris poussés par lui-même et par toute la France. Il y a des coïncidences malheureuses.
Je ne sais à quel numéro de cave correspond exactement ce nouveau trou dans la maison mais cela a-t-il de l’importance ? Plus aucune cave n’est utilisable car les escaliers qui y conduisent sont tellement pourris que plus personne n’ose s’y aventurer. Le propriétaire n’a jamais voulu nous croire.
L’ignoble individu nous traite de trouillards. Les propriétaires ne pensent qu’à s’enrichir sur le dos de leurs pauvres locataires, et des invités de leurs pauvres locataires.
La collègue de mon compagnon n’a poussé qu’un seul cri : le cri de la victoire de la France. Puis plus rien. Comme si l’idée de cette victoire l’avait paralysée. I1 faisait trop noir dans la cave pour que je puisse apercevoir la divine collègue, aussi j’entrai dans la salle de bains pour me laver les dents car nous avions mangé du poulet à l’ail et je n’aime pas sentir l’ail digéré. En ressortant, j’évitai soigneusement le nouveau trou -un seul accident est bien suffisant- et je m’approchai de mon compagnon qui était affalé sur le reste de canapé que nous avons pu sauver dans l’incendie de notre ancien appart’ en location, et qui buvait une bière comme à chaque fin de match juste avant d’aller pisser. I1 était si heureux du score de Notre Équipe que j’envisageai assez mal de briser sa joie. Puis j’entendis claironner la Marseillaise et je n’aime pas parler pendant notre chant national. Il y a des traditions qui se respectent.
Lorsque mon compagnon se fut soulagé et qu’il revint vers moi, il s’étonna de l’absence de sa merveilleuse collègue de travail. Pourquoi je lui dis qu’elle était partie ? Je ne sais pas. Je jure que j’ignorais que nous allions faire l’amour à moitié encastrés sous le meuble du poste de télévision qui parlait de la météo d’un lendemain peu reluisant.

 Merde ! dit mon compagnon, ça va encore inonder dans les caves.
C’est à ce moment-là qu’il vit le sac de sa collègue. Pourquoi les gens ne visitent pas les appartements des amis sans leur sac à main ? Je l’ignore. Mais pour préserver la paix dans les ménages, ils devraient le faire. J’insiste là-dessus. A cause de cette coutume inexistante et bien sûr à cause de l’avarice du propriétaire, mon compagnon entra dans une colère très sombre quand il découvrit notre nouveau trou, et qu’avec une lampe de poche aux piles pratiquement usées -mais pas suffisamment- il vit le corps de sa fabuleuse collègue étalée avec indécence au milieu du tas de gravats de notre plancher.

 Tu aurais pu me le dire ! hurla-t-il vers moi.

 Je ne le savais pas ! répondis-je pour sauver ce qu’il restait de notre couple.
Mais il était trop tard. Il avait senti mon haleine dentifrice. Et puis, d’avoir passé une partie de la nuit à tenter de récupérer ce corps qui ne dirait plus jamais ce qu’il savait, puis l’autre partie de la nuit à tenter de l’évacuer loin de notre immeuble sans réveiller personne -alors que nous savons qu’il y a des gens près de chez nous qui ne prennent toujours pas de somnifères pour passer le tiers de leur vie ensuqués- il est facile d’imaginer l’état de tension et de stress qui habitait mon compagnon lorsqu’il partit au travail le lendemain, sous un ciel bas qui allait donner raison pour une fois à la météo. ça n’aide pas l’amour dans un couple.
Le trou dans le mur de la salle de bains parlait de soleil. Le trou du plancher parlait de mort. Nous, nous ne parlions plus. Mais je voyais dans le regard de mon compagnon lorsqu’il rentrait le soir qu’il cherchait désespérément au fond de mes yeux les yeux de quelqu’un qui savait tout sur tout.
J’ai fait ma valise avant qu’il n’ait envie de me pousser vers les caves. D’ailleurs, contrairement au trou du mur qui restait identique à lui-même malgré les intempéries, le trou du plancher s’agrandissait un peu plus chaque jour condamnant définitivement la salle de bains. Et d’ici un mois, ce sera au tour du salon de s’engouffrer sans beaucoup de bruit dans les caves. Malheureusement, j’ignore la date du prochain match de foot.
Arlette Fétat

Le trou dans le mur (nouvelle d’Arlette Fétat)
Le Matricule des Anges n°26 , mai 1999.