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Domaine étranger Tirs mystiques

mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26 | par Emmanuel Laugier

Scène de chasse en blanc

Né en 1948, Mats Wägeus, qui étudia le cinéma et l’économie, a écrit avec Scène de chasse en blanc, publié en France pour la première fois en 1990 aux Presses de la Renaissance, un livre rare, dans une langue travaillée entre froideur, densité et sensualité. Il apparaît pourtant difficile de rendre perceptible tout l’indicible que cherche à dire ce roman dans une simple histoire de chasse. Ce livre est un monde à lui seul, une traversée physique menée jusqu’au bout, là où l’homme touche à l’inhumain et en fait toute la logique, d’abord hermétique et cryptée, d’une grâce. Paradoxalement, tout y vient avec lenteur et dans une rapidité à couper le souffle. Les premières pages campent, comme au ralenti, le lieu où trois hommes, Henrik, Gregor et le narrateur, vont durant quelques jours habiter : nous nous retrouvons dans la posture de l’hôte voyeur. Le sentiment qui domine alors est celui d’un plaisir suave et chaleureux à entrer dans une histoire, semble-t-il, de forêts, d’hommes des grands froids, d’espaces à perte de vue et de nuits boréales : « Le premier jour nous avons employé l’après-midi à une reconnaissance. Puis nous nous sommes rendus en voiture à la villa que nous avait prêtée le frère de Henrik. Nous en avons avec aise retrouvé la chaleur, et à peine dans l’entrée, en nous débarrassant à coup de pied de nos bottes, nous nous frottions les mains. (…) Gregor a fait passer un disque de Spike Jones ; assis sur le sofa, j’ai renversé la tête, fermé l’œil, et laissé la lumière du lustre, qu’on venait d’éclairer et qui s’était gravée à ma rétine, gagner le voile de mes paupières et exploser en une pluie d’étincelles jaillies de la »tache jaune« de mes yeux ». La situation est banale. Mais l’œil de l’un d’eux, bien que la lumière du lustre en explique le reflet, est jaune. Jaune comme l’œil d’un animal aux aguets cherchant sa proie. Voilà un premier indice, certes maigre, mais qui aura son importance dans la suite des événements. C’est ensuite au tour de Henrik de taper du poing sur la tabl
Ce n’est qu’à quatre heures moins le quart que nos trois hommes se lèvent, rêveurs « et tournés vers le dedans ». Et tout se précipite : « Avec armes et munitions nous sommes partis en voiture ». La première partie de chasse se déroule sur un étang, dans le mouvement glissé de barques plates. Les vols de canards et de sarcelles jaillissent et font ployer les roseaux : « les réserves que j’avais précédemment ressenties à l’idée de donner la mort -derniers vestiges de la civilisation, me suis-je dit- (précise le narrateur pensif) avaient maintenant laissé place à la vive attente d’autres proies. Les membres me tremblaient, on aurait dit de fièvre, et je demeurais en place qu’avec peine ». Les journées vont se suivre, du canard au chevreuil, et Mats Wägeus de nous y faire désormais entrer de plain-pied, grâce à une écriture de plus en plus précise, d’une densité descriptive sachant mêler à sa froideur le détail d’une perception physique charnelle, à la limite, parfois, d’une forme d’érotisme discrètement induit : « Ensuite nous avons écorché l’animal (un chevreuil) pour lui ravir sa beauté et en mettre la viande à nu. Il arrive que les membranes de graisse présentent des motifs étranges. Nous lui avons par exemple trouvé sur la cuisse gauche un lis à la française. Nous avons découpé la bête, et les meilleurs morceaux -côtelettes et filets- en ont été déposés sur un plat ornementé de feuilles de chênes ».
Les soirées passent ainsi dans un esprit de franche camaraderie. Le partage des morceaux de l’animal tué semble être celui de la grande Cène, un événement qui à lui seul lie les gestes des hommes au tréfonds de leur âme, en fait l’écho mystérieux d’un sacre. Camaraderie qui va serrer les cœurs, de plus en plus, jusqu’à la transformer en une fraternité rare, virile, fidèle jusqu’à la mort, religieuse et presque sectaire. Car le gibier va soudainement manquer. Les trois amis vont ainsi devenir les derniers hommes reliés à la puissance de l’ordre de la nature. Ils sauront que chasser rapproche le chasseur de sa proie en une égalité indépassable : « La décision nous a mis en d’heureuses dispositions. La pensée d’être bientôt hors la loi l’un devant l’autre et de pourvoir nous-mêmes à une nouvelle donne de gibier excitait en nous le goût de la chasse. (…) Mais ce n’est pas en rivaux que nous nous regardions, en aventuriers plutôt, d’une mission pour laquelle nous nous étions portés volontaires ». Tout bascule donc, et rien n’arrêtera plus la logique d’une confrontation avec soi-même et l’autre. Gibiers eux-mêmes, on l’aura compris, nous assistons ébahis et effarés aux déroulements que prendra une chasse tripartite. Les deux derniers tiers du livre, d’une grande lenteur narrative, exceptionnelle, baignent de douceur la folie de ces hommes. L’un, blessé à l’épaule, est soigné d’un bandage fait d’un demi-cœur de cerf. Les alvéoles servant de pompes rendront la chair presque laiteuse, sublime chair du dieu en l’homme. « Hors la loi », les trois amis s’enferment lucidement dans le piège qu’ils se tendent à eux-mêmes, parce qu’il répond au sens ultime de leur vie. Il faut sans doute ne rien dire de plus. La neige couvre la forêt, la lumière rase et bleue pâle ricoche contre un cristal posé sur une branche, des ombres passent comme la main du dieu caché, l’attente est celle de l’éternité. Comme tout grand livre, ce sont des pages indescriptibles et inimaginables. Et Mats Wägeus, pourtant, a su dans ce livre (il en a écrit trois autres) rendre l’inimaginable perceptible, l’indescriptible palpable.

Scène de chasse en blanc
Mats Wägeus

Traduit du suédois
par Jean-Baptiste Brunet-Jailly
Le Serpent à plumes (col. Motifs)
208 pages, 39 FF

Tirs mystiques Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°26 , mai 1999.
LMDA PDF n°26
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