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Poésie Celan, l’être debout

mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26 | par Emmanuel Laugier

Poète juif roumain de langue allemande, Paul Celan a répondu dans un « dialogue éperdu » à la barbarie nazie, jusqu’à son suicide en 1970. Ce premier recueil en poche rend disponible cette langue, noire d’abîme.

Choix de poèmes (1952-1967) réunis par l’auteur

Né en 1920 à Czernowitz, Paul Celan – de son vrai nom Paul Pessach Antschel – aura vécu ses vingt-huit premières années en Bucovine, province roumaine avant d’être annexée à l’Ukraine en 1939, puis envahie par les troupes hitlériennes en 1941. Alors que les Soviétiques s’étaient déjà rendus responsable de la déportation de quatre mille personnes en Sibérie, juifs pour les trois-quarts, les nazis multiplient les exactions et les convois. Celan est témoin de tout cela : incendies de synagogues, création du ghetto en octobre 41, etc. Il voit et vit alors, et jusqu’à son enrôlement comme cantonnier dans les camps de travail de Tabaresci, en Valachie, ce qui constituera la mémoire infinie de son œuvre à venir. Sa mère est déportée dès 42 et abattue d’une balle dans la tête, son père meurt des suites du typhus dans un camp. Il devient le témoin d’un impossible-possible témoignage. L’un des écrivains à répondre aux camps de la mort, jusqu’au bout. Comme le dit Jean-Pierre Lefebvre, traducteur de ce volume, dans sa préface lumineuse, Celan écrira non pas une poésie de « l’après-Auschwitz, mais (celle) qui est “d’après Auschwitz” , d’après les camps, d’après l’assassinat de la mère, d’après les chambres à gaz, au sens où d’après veut également dire “en fonction de…” ». Celan, l’ancien étudiant en médecine à Tours, se rend en 1945 à Bucarest chez un ami éditeur. Il est alors plongé dans la ville des surréalistes, des Tzara, Brancusi, Brauner, Cioran et Luca. Il y publie l’un de ses poèmes les plus emblématiques, avec Strette : Todesfuge (Fugue de mort). C’est dire combien cette ville représente encore, pour lui, le point de vue où l’horizon est pourri, aveugle, inéluctablement brisé. Il parvient à fuir Bucarest, pour Vienne, ville qui se révélera vite puante, grise d’un antisémitisme et d’un fascisme qui suintent des murs. La Todesfuge revient comme une litanie terrifiante dans sa tête, litanie que la rencontre avec la poétesse Ingeborg Bachmann ne fera pas taire. Elle revient comme une lame de fond, toutes les sept vagues : « Lait noir de l’aube nous le buvons le soir/ le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit/ nous buvons et buvons/ nous creusons dans le ciel une tombe où l’on est pas serré (…)/ Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit/ te buvons à midi la mort est un maître d’Allemagne/ nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons/ la mort est un maître d’Allemagne son œil est bleu/ il t’atteint d’une balle de plomb il ne te manque pas/ un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or/ il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel (…)  ».
Cette fugue fera partie du premier livre vraiment publié : Pavot et mémoire. Celan pose alors, en Allemagne, en 1952, le premier jalon d’une œuvre phare, par son exigence, par le travail qu’elle demande à son lecteur, par la voix abrupte, aux tonalités incommensurables, qu’elle achemine vers le témoin silencieux du temps. A cette date, Celan a déjà quitté Vienne. Il vit à Paris, d’abord traducteur des derniers livres du poète Yvan Goll (1891-1950), mais aussi de Mandelstam, Michaux, Ungaretti, Shakespeare, Blok, Iessenine, Supervielle et Char. Il se marie avec Gisèle de Lestrange, écrit, publie De seuil en seuil, collabore à la revue L’Éphémère avec, entre autres, Jacques Dupin, André du Bouchet, Michel Leiris, Yves Bonnefoy, enseigne à l’ENS, rue d’Ulm… Ses poèmes d’alors sont déjà marqués par de nettes évolutions, encore radicalisées par Grille de la parole (1969), La Rose de personne (1963), Renverse du souffle (1967)1. Un choix de ces livres, opéré par Celan lui-même pour les éditions Suhrkamp en 1968, est recueilli dans ce volume. S’y affirme une nécessité de trouver la petite voix qui fera de son témoignage le seul. Non pas celui du génie, figure qui lui était insupportable, mais celui qui parvient à se rendre nécessaire à toute oreille. L’architecture de ses livres mêle en effet savamment un vocabulaire simple en apparence (ciel, lait, main, pierre, étoile, cœur) à des références aux sciences physiques. Quelque chose s’impose, là, net, dans une voix inoubliable, malgré la difficulté et l’obscurité de l’énonciation : « renoncement aux schémas métriques classiques, raccourcissement des poèmes, réduction des énoncés, dureté des sonorités, rémanence des mots composés hétérotogènes ou hétérotopiques, rigueur et complexification croissantes de la construction, centrage sur le langue elle-même », selon Jean-Pierre Lefebvre. C’est tout un pan de relations avec les identités, verbes, sujets, ou avec une syntaxe logique, référentielle, culturelle, qui tombe : le poème Strette (dans Grille de la parole), d’abord traduit en français par Jean Daive et André du Bouchet, en est l’un des exemples les plus flagrants : la verticalité du poème, étendu sur plus de six pages, travaille en abîme son sens ; les heurts, les syncopes et les répétitions tournent le poème sur lui-même. Celan y accomplit, selon les mots de son discours de réception du prix Büchner en 1960 (Le Méridien) « un pas hors de l’humain, se porte(r) dans une sphère dirigée vers l’humain excentrique -celle-là même où la figure du singe, les automates, et, du coup… ah, l’art aussi paraissent résider ». Cela, c’est ce qu’il appelle aussi « poser l’aigu » : «  (…)/ Cyclones./ Cyclones, de toujours,/ chaos-tourbillons de particules le reste,/ tu/ le sais bien, nous/ l’avons lu dans le livre, était/ de l’opinion.// Était, était/ de l’opinion. Comment/ nous sommes-nous attrapés/ attrapés par/ ces/ mains ?// C’était aussi que./ Où ? Nous/ avons mis là-dessus un silence,/ calmé au sein, allaité de poison, grand,/ un/ silence (…)  ». Il s’agit de faire que le poème parle, mais parle « certes, toujours, de la circonstance unique qui, proprement, le concerne ». Et s’il parle, il ne le fait que dans un « dialogue éperdu ». Un dialogue de langue allemande, la langue maternelle, que Celan choisit de réinvestir par la poésie, parce qu’elle fut la seule à devoir l’être, la seule à être définitivement tachée des meurtres nazis. Cela constitua la solitude de Celan, mais aussi sa plus grande singularité. A jamais.

1 Le choix de poèmes de Renverse du souffle est pour la première fois traduit en français.

Choix de poèmes (1952-1967)
réunis par l’auteur, Paul Celan
Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
édition bilingue Poésie/Gallimard
380 pages, 69 FF

Celan, l’être debout Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°26 , mai 1999.
LMDA PDF n°26
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