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L'Anachronique Le pays dont nous sommes les hommes

août 1999 | Le Matricule des Anges n°27 | par Éric Holder

Appelons-le Georges. C’est mon pote. Il n’a pas bonne réputation : on me raconte qu’invité à Charleville-Mézières, il aurait pissé à trois heures du matin dans l’escalier du maître de cérémonie. Bien sûr, il était raide bourré. Et alors ? Ses livres accusent le prodige de toujours dire la même chose sans jamais se répéter. On se souviendra du mot de Genêt à propos de Proust : « Dès que je l’ai lu, j’ai su que j’irai de merveille en merveille ».
Dois-je m’arrêter à ce qu’il soit, à proprement parler, un cavaleur, un nomade, lorsque tous mes efforts à moi tendent à plonger des ancres ?
Non, je le file à la trace, je le trouve, je le retrouve. Je guette ses apparitions, ses parutions. Quand j’ai su qu’il se rendait à la Villa Mont-Noir, j’ai accepté ma propre invitation sans hésiter.
Plantons le décor : une rencontre d’écrivains, un paquet, même, venus de l’Europe entière (ils étaient plus de cinquante), le tout chez MargueriteYourcenar. C’était une bonne initiative de la part des organisateurs que d’avoir convié Georges au banquet. O.K., je viens, signé Eric.
Le train partait pour Hazebrouck. Quelqu’un, là-bas, nous amènerait à la demeure. Je connais bien Hazebrouck. Mon parrain (dans le même temps que mon oncle) y avait un commerce nettement scindé. Sur un trottoir, l’orthopédie. Sur l’autre, la lingerie fine. J’aimais bien l’embêter avec cette histoire de lingerie fine. Il rougissait comme un enfant.
La Grand-Place possède, en guise de coupole, des ciels à la Constable. L’oncle m’amenait parfois au musée où se trouvaient quelques pièces remarquables, car, tout orthopédiste qu’il fût, il aimait l’art de façon passionnée, c’est-à-dire avec des refus rageurs et les langueurs, parfois, d’un soupirant qui perd la tête. L’ultime fois où je l’ai vu, nous ne parlions que de cela, nos différences en la matière, dans ce jardin public où trône le buste d’un abbé, je crois. Le soir tombait mauve dans le feuillage d’une fin de printemps. Nous étions seuls. C’était l’heure où, malgré notre réserve mutuelle, l’un tâtant l’autre, il s’agissait de se dire des choses qui n’ont pas la toile pour sujet. Allions-nous enfin casser le morceau ? A propos d’une famille, la sienne, la mienne ? Ce fut oui, et ce fut heureux. Je te salue, hombre, par-delà le royaume des vivants.
Bon, Georges sortait en trombe du train et je le gagnais fastoche à la course jusqu’au premier bistrot. Allions-nous faire patienter l’accompagnateur qui attendait dans sa voiture ? La réponse fut oui. Je battais même Georges à la course immobile : il les prenait simples, je les commandais doubles. Une question venait simultanément de nous traverser l’esprit. Et si nous ne nous rendions pas, finalement, à cette fichue réunion d’écrivains ? On prendrait le train retour pour Paris, j’ai des amis qui te plairont là-bas (disais-je), non, répondait-il, on file directement dans le Sud. L’accompagnateur se désolait. On eut pitié. On grimpa dans sa petite Renault, non sans lui recommander de s’arrêter devant le premier SPAR rencontré sur le chemin. Nous en avions discuté, dans le train. Georges est né en Belgique, et j’ai des souvenirs d’enfance qui vont se nicher à Lille. Nous nous étions raconté à quel point l’odeur du gruyère râpé frais, jadis, nous émouvait. Il fallait absolument que nous allions acheter nos bouteilles respectives là-bas. Accompagnateur, dans le rétro, avait la mine de qui craint pour sa santé, songeant que, voilà, moi qui suis un bénévole, tout entier dévoué à la belle littérature, qui me rends chez ex-Marguerite, plus de cinquante écrivains, je me cogne deux ex-voyous de quarante et soixante ans, et c’est sur moi que ça tombe ?
Quand il nous a lâchés, à la villa, il paraissait pour le moins soulagé : l’avenir ne dépendait plus de lui. Nous avions adopté un comportement relativement décent, nous parlions d’autres auteurs pour lesquels nous avions des émerveillements en commun, cela le rassurait un peu.
Je ne me souviens plus très bien de ce qui s’est passé, entre « arrivée » et puis « débat » auquel était convié, justement, Georges. L’herbe était moelleuse devant la demeure où l’on trinquait sans nous. Il avait dû pleuvoir durant la nuit, et le soleil sur elle faisait du tiède. On était étendus les bras en croix, plongés cette fois dans la catégorie « Vos poètes favoris, expliquez les raisons de votre choix » quand on est venu nous chercher, debout messieurs, c’est l’heure.
Georges n’en a pas rajouté. Il avait sans doute la voix pâteuse, il n’en restait pas moins qu’il parlait comme il écrit -oh, bon sang ! cette sincérité, cette limpidité… Mais notre absence de manières n’a pas dû plaire à un jeune homme, au premier rang. « La littérature, monsieur, ne mérite pas ça », et de se lever pour attraper Georges au collet, Georges qui est incapable de se battre. Je me suis interposé. Je sais bien qu’il y a de la vantardise chez les hommes à dire cela, cependant j’aurais pu lui en coller une bien soignée. Je ne l’ai pas fait, au nom de la littérature, je suppose. Après tout, avec ce jeune homme, nous étions entre nous.
Eric Holder

Le pays dont nous sommes les hommes Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°27 , août 1999.