Exilé intérieur, Héctor Tizon l’est-il vraiment, à l’instar des personnages de son sixième ouvrage traduit en français ? Est-ce dû au coup d’état de 1976 qui l’a obligé à quitter l’Argentine pour l’Espagne où il vécut jusqu’en 1982 ? D’où viennent cette noirceur, ces ténèbres, cet hiver nucléaire qui frappe les humains et leur commerce alors que paradoxalement tout autour d’eux, sous leurs mains la nature croît, prospère ?
Au début de ce siècle, un couple d’émigrants italiens Rossana et Giovanni débarque à Buenos Aires. Rossana est enceinte, Giovanni quête désespérément du travail. Il en trouve un dans un domaine perdu du nord-ouest, Giovanni meurt, son fils Juan naît. Se dévide alors dans un long continuum de lumières (la nature), d’ombres (la maison, le tombeau), une vie de frustrations, ratages, une vie de juge de province ni vivant, ni mort, sans fusion-effusion. Une écriture contrastée, chuchotée, mastiquée, cinglée de dialogues se mordant la queue et de silences tonitruants. « Ce n’était que ça ? demanda Antonio. Oui, dit le juge. C’était ça, mais lequel d’entre nous ne sera pas toujours un étranger sur terre ? »
Né en 1929 à San Salvador de Jujuy en Argentine, Héctor Tizon n’appartient à aucune des écoles littéraires de la latine amérique. Son stoïcisme certainement mâtiné de cruelle lucidité indigène (Inca, Aztèque ?) semble enraciné à la lointaine Europe. En parallèle à une carrière d’avocat commencée en 1953, il écrit des nouvelles, crée des revues artistiques et littéraires, devient attaché culturel au Mexique, consul en Italie, voyage dans le monde. « Le sentiment que la vie n’est rien conduit à l’infini. » Noir, balafré comme un tableau de Soulages.
Lumière des cruelles provinces
Héctor Tizon
Traduit de l’argentin
par André Gabastou
Le Serpent à Plumes
202 pages, 129 FF
Domaine étranger Luxuriant désespoir
août 1999 | Le Matricule des Anges n°27
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Luxuriant désespoir
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°27
, août 1999.