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Domaine français Au-delà du réel

mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30 | par Christophe Dabitch

Quand la littérature observe l’univers des boulots précaires, elle fait de son sujet le matériau même de l’écriture.La preuve par Yves Pagès.

Petites natures mortes au travail

L’excellent titre du livre d’Yves Pagès, Petites natures mortes au travail, illustre à merveille le point de vue de l’auteur : un mélange de provocation et d’ironie, un point de vue décalé et d’une certaine manière un exercice de style. Après l’avoir délaissé au profit d’un genre comme le polar, la littérature dite blanche semble depuis quelques années vouloir reconquérir un monde qui est une part essentielle de la vie de chacun, le monde du travail. Face à la déferlante libérale, la littérature ose enfin opposer son regard critique sans pour autant se perdre dans un simple discours de dénonciation. C’est ce que fait ici Yves Pagès avec de courts récits où se mêlent l’imaginaire et le vécu, la fiction et le documentaire. Comme l’indique le titre d’un de ses textes, Il était une fois l’aliénation, il ne s’agit effectivement que de cela. D’emplois précaires en contrats éphémères, les êtres sont réduits et enfermés, ils enfilent une seconde peau qu’ils finissent par accepter comme étant la leur : « Quatre fois par semaine, il garde l’entrée d’un dancing, aux abords d’une sortie d’autoroute. Derrière la porte blindée, sa silhouette mal dégrossie arbore les vertus d’une pesanteur dissuasive. Il faut être plein de sa propre inertie pour jouer au videur. Sobre aussi, pour conserver huit heures d’affilée l’aplomb énigmatique d’un monstre froid. Et presque invertébré à mesure qu’on développe en soi des dons d’immobilité propres aux mollusques, aux arachnides et aux tiques de chien ». Autre exemple, celui de José, dont le travail consiste à être déguisé en Pluto dans un fameux parc de Marne-la-Vallée : « Maintenant que les camps de travail sont ouverts au public, les comédiens domestiques doivent suer sous leur seconde peau et se taire jusqu’à faire disparaître en eux la trace obscène du labeur. L’attraction moderne a sa loi : si tu veux abolir le prolétariat, donne-le en spectacle ». À travers ces portraits, Yves Pagès observe avec un apparent point de vue d’ethnologue l’univers des petits boulots mais -c’est en quoi le livre se distingue d’un discours de dénonciation- ce monde est un prétexte pour l’écriture ou plus exactement un matériau hautement sensible qui une fois « importé » en littérature va générer une autre réalité. Sans revenir encore une fois sur les titres (quasiment tous des jeux de mots dans le bon sens du terme), on peut s’arrêter sur le texte d’introduction qui est une liste délirante de ces sous-emplois parmi lesquels l’auteur va piocher quelques portraits : « (…) chômeurs déguisés dans Germinal, mitrons enfarinés dès minuit, bac+9 sans emploi avouable, buralistes mobiles en stock d’opiacés, nègres pour littérateurs mal inspirés, agents de duplication vidéo, plagistes pour aoûtiens solarisés, aides-soignantes à domicile non-fixe, vacataire sans facultés particulières, goals volants jamais titularisés (…) ». Yves Pagès trouve ainsi le difficile équilibre entre la part de l’écriture, qui a sa liberté propre, et la part d’un sujet social délicat à manier. L’espace de jeu du langage et l’imagination ne laissent jamais oublier que ce dont on parle ici est finalement tragique. Et de ressentir cette profonde tristesse devant tant de gâchis, comme l’auteur, dans une rame de métro, reconnaissant le mendiant qui vient de débiter sa biographie sur un ton monocorde : « Emmanuel, gratteur précoce de guitare, branlotin vantard, fils unique de sa grand-mère, perdu de vue au détour d’une fatale réorientation professionnelle ».

Petites Natures mortes au travail
Yves Pagès

Verticales
123 pages, 85 FF

Au-delà du réel Par Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°30 , mars 2000.