Le 20 novembre 1996, Al Berto lit au Colisée de Lisbonne La Mort de Rimbaud, un de ces derniers poèmes : « j’espère que le vent passera… sombre, lent puis j’y entrerai, scintillant, léger… et je disparaîtrai. » C’est à voix haute qu’il annonce sa mort prochaine. Al Berto succombe à sa maladie quelques mois plus tard. Dans l’entretien d’avril 1997 qui ouvre Jardin d’incendie il déclare : « Dès que mon cœur s’arrêtera de battre, je voudrais que tout s’efface, mon œuvre, ma carte d’identité… que tout reste blanc. »
Les éditions de L’Escampette vont publier l’œuvre complète de ce poète qui ne mettait pas de limites à ses nuits. La voix chantante, le regard émerveillé ou rieur, Al Berto pour sa manière de brûler la vie était souvent comparé aux poètes de la Beat Generation. « Poésie de la violence du monde et de l’insupportable réalité », selon António Ramos Rosa (préface à La peur et les signes, L’Escampette 1993) l’œuvre d’Al Berto trouvait son énergie dans la nécessité d’ériger, face aux ténèbres, une liberté absolue qui excédait les limites de la page et de l’acte d’écrire. Cette énergie vitale et communicative, on la retrouve dans Jardin d’incendie, empruntée, comme en un écho lointain et nostalgique. Le poète semble apaisé et triste et son dialogue avec le monde se transforme peu à peu en un dialogue avec lui-même : « replié vers l’intérieur de ta propre pensée/ blessé/ tu traverses les syllabes diaphanes du poème ».
La langue chante, mais ce n’est plus de révolte. C’est un adieu adressé aux amis « dans la fissure de ce temps pestiféré/ qui ne leur appartient déjà plus » et ceux-ci pourraient aussi s’appeler Genet, Rimbaud ou Proust ou encore « ceux qui ont un nom et nous téléphonent/ un jour maigrissent -partent/ nous laissent courbés dans l’abandon/ à l’intérieur d’une douleur inutile muette/ et vorace ». Adieu à Lisbonne, « dernier lieu du sourire » que quatre poèmes consacrent.
Poète du blues où la nuit brillait de ses néons glauques, Al Berto laisse ici son chant rejoindre cette saudade nationale, cette attente mâtinée de tristesse, ce deuil permanent suspendu au dessus- d’« un empire de navires vides ». Sa voix semble vouloir se glisser dans « l’écriture des peuples innombrables » dont « il ne reste rien ». On est saisi par ce sentiment que le monde meurt avec celui qui parle. L’inventaire qu’il dresse, images fulgurantes ou instantanés pris sur le vif des souvenirs, ressemble à un sablier qui s’égraine. Chaque chose vécue -« les villes sans nom l’accident l’autoroute/ le message laissé au café la bière renversée/ la frayeur de la nuit la fuite »- finalement, n’est qu’un grain de sable, de ce sable dont on fait les villes. Le sentiment de déréliction du recueil tranche sur la vivacité des images aux accents parfois surréalistes comme s’il y avait encore un éclat à saisir dans la disparition, dans le « crépuscule/ duquel s’échappent les abeilles incompréhensibles/ de la mémoire ». Les poèmes sont-ils la voie d’une dernière fuite, le solde de tout compte, une façon de plier bagages pour celui qui voyage sans rien ? Le recueil se clôt donc sur La Mort de Rimbaud, dans une fusion de destins qui conclut : « je n’ai plus rien à dire. les poèmes sont morts./ fuir est devenu une obsession, ou alors c’est la meilleure façon de mettre en scène le désespoir. » Mais finalement, les lumières éteintes, longtemps après que le rideau est tombé, on entend encore cette voix. Et elle chante.
Jardin d’incendie
Al Berto
Traduit du portugais
par Jean-Pierre Léger
L’Escampette
75 pages, 99 FF
Poésie Dernières flammes
mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30
| par
Thierry Guichard
C’est un chant en ré mineur, une saudade d’adieu, qu’Al Berto a composés avant de s’éteindre en 1997. Derniers vers portugais, d’un cosmopolite.
Un livre
Dernières flammes
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°30
, mars 2000.