Le « Central », académie vouée au billard située « dans une des rues les plus passantes, les plus bruyantes et les plus polluées » de Paris, ne se livre pas au premier venu. Le lieu se cache derrière une façade anonyme, « l’existence du grand billard central est en effet si discrète qu’elle confine à la disparition, et sa découverte relève de la grâce. » On y mérite son entrée. Les mêmes hommes s’y retrouvent depuis des années, évoluant sous le regard autoritaire d’un patron inquiet mais décidé à cultiver le mystère qui entoure le lieu, même s’il sent sa fin approcher. « Il se dit, comme pour se dédouaner d’une faute grave, que le Central ne pouvait échapper à la loi du monde où rien n’est éternel. Un jour ou l’autre, du nouveau devait s’y produire. » Le « Central » devient bientôt le terrain d’un affrontement entre le maître des lieux et un jeune homme entré là avec l’idée d’y récupérer un dû.
Jacques Gélat, dont c’est le deuxième roman après Le Tableau (Denoël), est également scénariste (sous pseudonyme). La proximité qu’il entretient avec l’image semble lui permettre de dessiner un décor coupé du monde avec précision et subtilité.
Le roman, à l’image de son titre, reste constamment ouvert, rebute à livrer ses clefs. Le fantastique y apparaît par petites touches, savamment dispensées. Il sert curieusement la réflexion et le texte acquiert une véritable portée philosophique. Intrigue et suspense ne quittent pourtant jamais l’avant de la narration, ce qui fait de La Couleur inconnue un roman d’une grande fluidité. Il est rare que l’entretien du mystère serve la logique ou la raison. Lutte pour le pouvoir, limites de la réalité, prédisposition de l’homme au changement ou assimilation à la norme, le terrain d’interprétation est ici des plus vastes.
La Couleur inconnue
Jacques Gélat
José Corti
256 pages, 105 FF
Domaine français La réalité sur du billard
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Benoît Broyart
Un livre
La réalité sur du billard
Par
Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.