On revient toujours sur le lieu de ses obsessions. Pour Dennis Cooper, critique d’art américain, c’est Los Angeles et ses marges où vivote une jeunesse paumée, corps et âme bousillés par la dope. À la suite de Closer (P.O.L, 1995), premier roman aussi psycho-clinique que l’album du joyeux Joy Division, Guide ne trahit donc pas son titre. C’est dans l’enfer des camés que le lecteur est convié, parmi ces existences étriquées où le jour et la nuit se répètent dans une même obscurité sinistre, mortifère, auto-destructrice. Les tranches de vie ici recensées (le sang n’irrigue que le bas-ventre) sont noircies du même cirage : on traque les amants, on part en voyage sur le canapé, on divague la TV allumée devant des pédo-pornos, on s’essaie aux expériences sado-masochistes les plus lugubres (cannibalisme). Sur fond de rock nihiliste et planant, chaque chapitre campe l’immobilité démoniaque de cette bande d’amis déjantés, « perdus dans les rêveries peu mémorables » et accrochés à « leur poubelle imaginative ». On sort rarement du séjour ou de la chambre à coucher. Les fantasmes sont violents, monstrueux, les dialogues s’asphysient, les phrases débitées sur un ton laconique. Seul l’amour -sa quête éternelle- donne un visage humain à cette déglingue stupéfiante. La vraie force de Dennis Cooper est d’éviter tout effet esthétisant. Construit comme une suite de plans-séquences, Guide s’apparente à un roman-documentaire, sans références sociologiques (contrairement à Breat Easton Ellis qui s’en prend au clinquant de l’époque). Cette langue dépouillée, à bout de souffle, fouille les décombres du vide. Cette Amérique-là rêve d’émotions et soigne le mal par le mal. Salement cool.
Guide
Dennis Cooper
Traduit de l’américain
par Christophe Claro
266 pages, 120 FF
Domaine étranger L’infernal test de Cooper
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Philippe Savary
Un livre
L’infernal test de Cooper
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.