Craquement d’ombre et Un même silence sont intimement liés par le thème de l’enfance et l’appel de l’être aimé. Le premier est un recueil de poèmes dans la continuité des livres précédents de Bernard Vargaftig. La langue y est toujours hachée, le rythme brisé du vers lui redonne un élan chaque fois plus souple. Le choix du vocabulaire est précis : « nudité, été, montagne, oiseau, enfance, manque, commencement, distance, nommer, hasard, désastre, azur, tremblement, vitesse ». Ces mots reviennent tel un martellement, la forme devient répétitive comme dans la musique sérielle américaine. On pourrait également se demander si parfois l’auteur n’utilise pas la technique du collage, tant la déclinaison des poèmes nous paraît rassurante dans sa reconnaissance. Malgré le voile que semble utiliser le poète pour rendre ses textes hermétiques, peut-être pour se protéger, peut-être avec la peur d’avouer des blessures profondes, on sent comme une urgence à parler de l’enfance : « D’être éperdument l’enfance/ Avec ce paysage un à un/ Dans la vraie blancheur sous le dénudement/ Auquel les désastres reviennent ».
Bernard Vargaftig est né en 1934 à Nancy d’une mère juive. Toute la guerre, il va la passer dans la crainte d’être découvert, d’être dénoncé. Un même silence est un recueil de huit textes en prose qui retrace cette période sombre. L’enfant ne doit pas parler, ne pas se faire remarquer, sa mère lui dit sans cesse : « Tais-toi ». Résistante, elle fabrique des faux papiers. La danger est partout : « Il fallait ne pas donner aux miliciens ou aux agents l’occasion de monter, de sonner, de, comme on disait, vérifier les papiers. » C’est le temps des faux noms, le poète oubliera celui qu’il portait dans son enfance, mais de là naîtra une quête de l’identité qui marquera son travail d’écrivain et qui ne le quittera plus : « J’ai peur d’avoir oublié, j’ai peur de me souvenir. J’ai peur de lire mon nom. J’ai peur de ne pas l’entendre. »
Les textes de ce livre sont courts (sept pages au maximum), les phrases sont courtes elles aussi, un rythme s’en dégage comme une course, rapide et brève. Toute une partie de l’œuvre poétique de Vargaftig s’éclaire à la lecture de ces pages, tel le leitmotiv des oiseaux : « Je n’allais jouer chez personne. Je jouais à parler aux oiseaux. »
On ne guérit pas de son enfance.
Et c’est encore la présence de la femme aimée, ici comme dans les autres recueils (Et l’un l’autre Bruna Zanchi (1981), Cette matière (1986), Dans les soulèvements (1996)), qui permet au poète de se nommer, d’exister réellement, d’affirmer sa conception de la poésie en même temps que le doute : « Alors j’ai su, et toujours plus profondément que jamais je ne te comparerais, que jamais tu ne serais comme, que rien, pas même un foulard, ne te représenterait. Si la »poésie« existe, c’est ça. » Ces deux livres apparaissent alors essentiels pour qui veut comprendre l’œuvre de l’un des plus singuliers poètes contemporains.
Bernard Vargaftig
Craquement d’ombre
et Un même silence
André Dimanche éditeur
78 pages, 119 FF chacun
Poésie L’enfance volée
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Stéphane Branger
Entre la poésie et le souvenir, Bernard Vargaftig nous livre son témoignage d’enfant juif pendant la Seconde Guerre mondiale.
Un livre
L’enfance volée
Par
Stéphane Branger
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.