Retour aux sources en apparence que ce recueil d’essais au magnifique intitulé. Hâtons-nous de préciser que l’auteur ne remonte pas cette fois aux origines du Danube, mais à celles d’un travail qui débuta en 1963 avec Le Mythe et l’Empire où se trouvaient magistralement décortiquées les œuvres de tous les écrivains marquants de la littérature autrichienne moderne. Inutile d’insister à nouveau sur le caractère décisif de cette publication quant à la redécouverte du Vienne fin de siècle et de sa prodigieuse production littéraire. Mais Claudio Magris est décidément du genre à subvertir les genres. Si on trouve bien ici nombre de passionnants textes à caractère monographique, où le domaine de prédilection germanique se trouve d’ailleurs fort honorablement représenté (Goethe, Nietzsche, Fontane, Hermann Broch, Heidegger et Hannah Arendt, Hermann Hesse, Fontane… sans oublier Thomas Mann auquel est consacré le plus long et peut-être le plus impressionnant des textes), Utopie et désenchantement n’hésite pas à cingler loin de ces rivages universitaires dès que souffle le vent de l’inspiration ou de l’indignation. Notre savant professeur fait son miel aussi bien de la période de Noël que d’une boulette de papier lancé voici déjà bien longtemps par un de ses camarades de classe, de la nécessité d’édicter des lois que de tel ou tel article de journal. Dans ce dernier registre, il faut signaler « un sondage effectué en Angleterre, d’où il ressortirait que de nombreux prêtres anglicans ne savent pas bien quels sont les dix commandements », ignorance où certains journalistes discernaient de manière quelque peu inattendue « une mentalité plus ouverte et une âme plus sensible, libre de tout formalisme schématique et donc plus créative et plus capable de charité chrétienne. » Il convient de laisser aux lecteurs la découverte des savoureuses considérations pince-sans-rire, entremêlées de commentaires bien sentis sur la confusion des valeurs, que ceci inspire à Claudio Magris. Encore que la palme de l’absurde revienne sans conteste au général Guy Vanderlinden, commandant des marines de la zone Méditerranée, qui affirmait que l’avion militaire ayant percuté un téléphérique dans le Trentin italien et causé la mort de vingt personnes « était sur la route réglementairement autorisée par le commandement de la base d’Aviano. » D’où cette salutaire mise au point de l’auteur : « Si un avion percute un téléphérique, il n’y a que deux possibilités : ou bien c’est l’avion qui a dévié de sa route, pour un motif quelconque (incident, avarie, erreur, tempête, défi du pilote), ou bien c’est le téléphérique qui est sorti de son parcours établi, qui a fait un bond en l’air et a percuté l’avion. Il n’est pas nécessaire d’être un un génie ni un expert en aéronautique pour considérer comme plutôt improbable cette seconde hypothèse, que le général pour sa part considère de toute évidence comme la plus crédible… » Au vrai, le présent ouvrage frappe autant par la manière dont les...
Dossier
Claudio Magris
L’enchanteur désenchanté
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Eric Naulleau
De quelques utopies présentes et passées, du désespoir comme forme moderne d’espérance. Cinquante et une raisons d’y croire encore.