La complexité du livre se fait entendre dans son titre qui associe la figure de l’auteur du Bavard disparu à la fin de l’an dernier (après la parution de ce livre) au mot roman. Louis-René des Forêts, roman est un livre polymorphique qui s’attache à dévoiler une question fondamentale de la littérature : le silence que l’on prédit à son horizon. Jean-Benoît Puech est un jeune homme lorsqu’il découvre l’œuvre de Louis-René des Forêts. Un jeune homme partagé entre la nécessité de se taire (par morale ou peur) et celle de parler, d’écrire et d’être lu. C’est tout naturellement qu’il va chercher en « LR » un père spirituel. Or, lorsqu’il rencontre des Forêts, ce dernier est entré dans une longue période de silence, de retrait total qui fait immanquablement penser à Rimbaud ou Bartleby et qui trouve son écho dans le mythe de l’écrivain-silencieux. Posture évoquée dans les livres même de LR déjà parus. Or, et Jean-Benoît Puech l’apprendra après plusieurs années de rencontres régulières avec lui, Louis-René des Forêts se tait surtout (encore qu’il publie en revues) depuis la mort de sa fille. Accident biographique et non volonté littéraire.
Cela n’aurait qu’une importance relative si, d’une part, le silence, la méfiance vis-à-vis du langage en même temps qu’une réelle attirance vers lui ne minait la vie de Puech et si, d’autre part, la rencontre de des Forêts n’avait pas conduit l’universitaire à l’écriture de romans à clés, dont certaines nous sont données à la fin de cet ouvrage.
La part intime, presque douloureuse, de ces rencontres nous est restituée ici dans les extraits du journal tenu par Jean-Benoît Puech. La forme du journal a son importance : il s’agit de mettre au cœur de l’intime les questions littéraires essentielles. Il s’agit d’aboucher le biographique à la langue, à son utilisation ou au refus de l’utiliser. Les ressassements, répétitions qui rythment la vie du diariste montrent combien la question est vitale. On est ici finalement assez proche des carnets d’un Roger Laporte qui met l’écriture au cœur du biographique, qui insiste sur le fait qu’il ne saurait y avoir de biographie que dans l’écriture. Cette pensée, dans quoi il est facile de se perdre ou de perdre sa raison, possède sa vulgate opposée et romantique : la vraie vie commence où la littérature finit. De ses rencontres avec des Forêts, Puech ramène d’incessantes questions : « Si les brouillons sont aussi l’œuvre, les conversations ne sont-elles pas aussi les brouillons des brouillons ? (…) N’est-ce pas dans cette élaboration, plus que dans son exposition, que réside la littérature ? » De février 1971 jusqu’à ces tout derniers mois, le journal sert ainsi à interroger la figure et l’œuvre de LR. Lorsqu’il souhaite publier ces pages, Puech se confronte au refus de des Forêts. Or, pour Jean-Benoît Puech, la nécessité d’être lu l’a emporté sur celle de se taire. Il va donc transposer le nom de des Forêts (qui devient Delancourt), mais aussi les titres de ses livres, mais également son propre nom (qui devient Benjamin Jordane) et composer une œuvre calquée sur le journal. La fiction, ensuite, va imposer ses biographies aux personnages créés par la seule nécessité de la transposition. La littérature naît là, d’une forme que le combat entre le silence et la parole s’est créé. Lorsque Jean-Benoît Puech revient sur l’élaboration de ses livres, on suit sa fuite en avant dans la fiction avec la fascination des lecteurs de Borges. Puisqu’à son tour Delancourt écrit des transpositions romanesques du rapport Puech-des Forêts, la réalité devient le fantôme de la fiction. Et l’on s’interroge : où se trouve la vraie vie ?
Louis-René des Forêts, roman
Jean-Benoît Puech
Farrago - 157 pages, 89 FF
Essais Les échos du silence
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Thierry Guichard
Jean-Benoît Puech convoque les multiples formes de l’écriture pour dire le combat entre la parole et le silence qui fait la littérature. Une entrée dans la matière.
Un livre
Les échos du silence
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°34
, avril 2001.