Indépendante, la maison d’Olivier Gadet apprécie
l’humour, les textes singuliers et la tranquillité. Avec le voeu que son catalogue, anti-consensuel, s’apparente à une petite « bibliothèque » idéale.
Les éditions Cent pages aiment à cultiver le paradoxe. En 1998, leur fondateur, Olivier Gadet, signe J’emmerde Le Monde, méticuleux pamphlet contre le « mondélivres ». L’assassine brochure offerte au Salon du livre de Paris fit un tabac. Cet été, nouveau coup de semonce. En guise de cadeau d’adieu, la maison d’édition rejoint le pas de tir en rééditant la piquante Apostrophe à Pivot du regretté Raymond Cousse. Si l’humour et l’ironie se manient à fleurets mouchetés chez Cent pages, on jure pourtant apprécier la discrétion… ce que la visibilité de la marque finalement ne dément pas.
Domiciliée à Grenoble, la maison d’édition poursuit depuis quatorze ans un travail de fourmi, en publiant des livres atypiques, inattendus, et très soignés, qui font le bonheur des curieux. Une petite cinquantaine, en tout, dont la meilleure vente -L’Amour est une région bien intéressante de Tchékhov (3500 exemplaires)- témoigne de la hauteur d’exigence. L’indépendance est à ce prix. Après un poste de gestionnaire aux Presses Universitaires de Grenoble, Olivier Gadet a créé en 1987 la SARL Cent pages (trois salariés, 5,5 millions de chiffre d’affaires), société chargée de vendre du packaging éditorial (conception de catalogues, de revues…) et dans laquelle il s’est constitué « une petite enclave » pour publier des livres qu’il aime. « Éditer des textes était un préalable. Il fallait trouver ensuite une solution économique pour que ces livres-là existent », explique Olivier Gadet, qui admet que son enclave fonctionne « à perte ». Ici, la variété a bon accueil puisqu’on y trouve du roman, du pamphlet, de la nouvelle, du sermon, du théâtre, de la photo ou du récit de voyage. La promenade débute dès le XVIe siècle et affiche son goût pour les curiosités littéraires. Les confirmés (Flaubert, Genet, Sterne, Melville…) côtoient d’autres voix moins fréquentées mais fortement recommandables (Roberto Arlt -Le Jouet enragé, Le Petit Bossu-, Ramon Gómez de la Serna, Ernest Coeurderoy et son tonitruant Hurrah !!! ou la révolution par les Cosaques). Preuve que l’on ne se prend pas au sérieux dans cette maison, un Bouquet d’injures & d’horions et de Lettres d’amour fleurit même le catalogue.
Rencontre avec son fondateur - « qui n’aime pas les choses qui commencent par si… » - et Arthur Bernard, auteur-maison (Le neuf se fait attendre, On n’est pas d’ici…), compagnon de route et de course à pied, deux « pessimistes actifs » et heureux de l’être.
Olivier Gadet, pour reprendre le titre d’un roman d’Arthur Bernard, Cent pages publie plutôt à La Petite Vitesse. C’est du dilettantisme ?
Non. C’est bien d’avoir quatre ou cinq livres en permanence qui tournent, paraissent ou sont en projet. Je n’ai pas envie de plus. On est un peu des solistes...
Éditeur Cent pages ni regrets
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Philippe Savary
Un éditeur