Ne cherchez pas Henri Simon Faure (dit H. S. F.) dans le Dictionnaire de la poésie de Baudelaire à nos jours de Michel Jarrety (PUF, 2001), vous perdriez votre temps. Ce dictionnaire-là ignore avec désinvolture la production de l’éditeur Guy Chambelland (1927-1996) dont H. S. F. fut l’auteur singulier. Pour une foule d’excellentes raisons, son oeuvre est à découvrir. La première réside dans le flux tendu de ses mots rugueux, le punch de sa phrase et sa profonde indépendance qui l’autorise à réformer l’ « orthograf » en supprimant les e muets. De ce point de vue, les quatre-vingts ans du lascar en imposeraient aux plus modernes s’il avait le goût de la gloriole et des médias.
Son récent opus, Je me brûle l’oeil au fond d’un puits, est noué par la tristesse du deuil. Après la disparition en décembre 1998 de son épouse, la peintre Lell Boehm – dont une magnifique huile orne la couverture sur papier bouffant –, le veuf a entamé un genre de journal intime où il noie sa douleur. Il y parle comme le font les pudiques, sous la mousse légère de l’accessoire et des constats déprimés : « en prenant de l’âge on se pose des questions, on dress une espèce de bilan, on cite des faits en colonn et en face dans une autr colonn qu’a plus rien de vertébral zéro qu’on écrit zéro zéro zéro ».
Lorsqu’un amour de cinquante ans est brisé, il y a de quoi « chyaler » avec, inévitables, le regret de n’avoir pas recueilli le dernier souffle de l’aimée, le rappel des moments heureux passés à Saint-Étienne ou à Oppède-le-Vieux -village béni du Luberon qui inspire nombre de ses poèmes comme le très beau Au mouton pourrissant des ruines d’Oppède (1954 ; rééd. 1983)-, le retour lancinant des paroles lancées. « À Lell Boehm je lui disais encore toujours/ t’as tout ce qu’il te faut, surtout ta lumièr la lumièr du Luberon, tu peux bien profiter de t’extasier à son rythm pendant pas mal de temps encore. »
Sous les coups de boutoirs du « brocanteur de mots », la mise à nu embouche des textes de toutes natures : notes de lectures (Drieu La Rochelle, Freud, N. Sarraute), notes intercalaires sur l’écrit en cours, lettres à son éditeur, récits d’enfance, morceaux de vie quotidienne, bestiaire, amours passagères, etc. Son manuscrit est « enchevêtré d’épisodes de vie sur lesquels je reviens toujours, ça m’aide sèchement à organiser mon passage sur le divan à Sigmund Freud ». On sent bien que c’est là sa bouée.
Terrible bonhomme qu’H. S. F. Une affiche le montre crâne rasé et torse nu, brandissant un manche d’outil, vitupérant peut-être. Depuis 1950 et D’orgiaque gratuité (La Tour de Feu), l’insoumis souffle les braises d’une langue à lui, mobile et vigoureuse, tantôt brutale et nue, tantôt gorgée de sucs étourdissants. Elle est changeante, supporte les expérimentations les plus diverses. Il faudrait pour donner à imaginer un personnage ressemblant greffer certains des traits de Claude Seignolle (la moustache, le bagout et son roman La Gueule), de Pierre Vella (l’irrépressible nécessité d’écrire), d’Arno Schmidt (les jeux formels), Ted Hughes (le bestiaire viril) et aussi de Marc Stéphane (autre pamphlétaire natif de Saint-Étienne, créateur d’une langue populaire). Aucun chirurgien ne tentera la manoeuvre mais la compilation de ces tempéraments est assez épicée pour brûler les yeux de ceux qui se laisseront mener par Henri Simon Faure le libre-diseur.
À empoigner sans tarder.
Je me brÛle l’oeil au fond d’un puits
Henri Simon Faure
Éditions du Lérot
86 pages, 120 FF (18,29 €)
Domaine français A Lell Boehm
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Éric Dussert
Poète rare et physique, Henri Simon Faure publie le récit de son deuil. Au souffle long et à la liberté assumée, sa prose attristée signale une forte personnalité.
Un livre
A Lell Boehm
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.