La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Devenez écrivain

septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36 | par Xavier Person

Comment peut-on être l’auteur de ses livres ? Jean-Marc Baillieu pose l’acte critique au départ de sa création poétique. L’Éparpillement des sites : un livre que vous pourriez peut-être écrire.

L' Éparpillement des sites

À sa manière, Jean-Marc Baillieu s’inscrit dans un rapport à la littérature qui n’en évite pas la critique et laisse sa part à l’abstraction, c’est-à-dire à la pensée, c’est-à-dire aussi au blanc de la page, au silence et à la conscience de la vanité du fait d’écrire, à son ineptie dès lors qu’on y regarde d’un peu près. Les livres qu’il avait pu donner jusqu’alors n’entraient pas dans un format traditionnel : collaboration à des revues, édition de très minces plaquettes parfois juste photocopiées, éparses et rares « interventions ».
Dans l’une d’elles, Uruguay (le lecteur complète)1, il recopiait littéralement sur la page de gauche des énoncés (lettre d’un ministre, page d’un roman populaire, notices de dictionnaire, etc.), tandis que sur la page de droite en vis-à-vis apparaissaient ses propres commentaires sur l’écriture problématique de la poésie, qu’il achevait en citant un ouvrage de C.V. Connolly au titre révélateur : Ce qu’il faut faire pour ne plus être écrivain. Dans une autre encore, Fellatio suivi de Toutefois2, simplement neuf poèmes sont écrits selon une contrainte explicitée à la fin, consistant en un prélèvement de mots dans des chroniques boursières d’un quotidien, disposés sur la page en des calligrammes verticaux. Par une pirouette que n’aurait pas reniée Marcel Duchamp, la matière boursière s’érige dans un pur volume de mots… Disposez sur le milieu de la page, autour d’un axe vertical, les termes suivants : « Sauvetage temporairement/ accepté,/ colonnes/ immédiatement concernées/ Autant à mettre/ en ce moment/ solitaire/ après exagérations sur/ d’autres marchandises/ Lâcher un peu. » !
Filons la métaphore financière : l’économie des textes de Jean-Marc Baillieu privilégie la dépense avant tout -ne propose-t-il pas dans Uruguay de réfléchir à « la subversion du don qui pourrait ouvrir une perspective autre que libérale » ? Des opuscules très clairsemés, troués de beaucoup de blanc (citons au passage le très beau et court NM-GB 48-573 écrit à partir de quelques natures mortes de Georges Braque) alternent avec des textes plus jaillissants, composés sur le principe de la liste, livres énumératifs, jaculatoires. MA RESILLE4 est en quelque sorte livré en kit. Partant de l’idée que « la liste est un catalogue qui enregistre une réalité », il est fait d’un inventaire de mots, noms propres ou communs, liés à la ville de Marseille, à partir desquels il est proposé au lecteur de fabriquer son propre poème. Fruit d’un travail avec un saxophoniste bordelais et une danseuse japonaise, Poudre de riz sonore5 est une manière de lexique sonore, à partir de mots parfois inventés, disséminés dans une logique rythmique, sorte de bavardage arrêté, baragouin où le mot se creuse en variations sonores : « Jeannot, jusqu’au, jaquemart, jacobin, jacobite, jade, jarre, jambage, jargon, jaunisse, jazz, jambage, jargon, jaunisse, jazz, jambage, jargon, jaunisse, jazz. »
Premier vrai livre de Jean-Marc Baillieu, L’Éparpillement des sites, qui a été conçu de 1982 à 1994, est plus syntaxique sans doute, mais pensé lui aussi sur l’idée que le texte est donné au lecteur, dans un état de relatif inachèvement. Le narrateur de ces douze chapitres apparaît des plus discrets en effet, préférant multiplier les hypothèses dans les historiettes qu’il nous livre, sur un mode énigmatique, comme autant de tentatives d’écrire les fragments d’une histoire improbable, artificielle finalement, tant la représentation du réel est trompeuse.
Pour évoquer des girafes, qui ainsi que d’autres animaux défilent étrangement au milieu de ce faux roman russe, ne nous est-il pas signalé que « toute image photocopiée a une saveur exotique », alors qu’une « photographie en noir et blanc d’un feu d’artifice » nous est proposé à la rubrique « otarie ». Et que faut-il comprendre alors qu’après le mot chat il nous est demandé qui a inventé les boîtes de conserve, lesquelles boîtes de conserve apparaissent en plusieurs autres endroits, pleines de mystères d’être considérées à la loupe grossissante de celui qui ne s’attache qu’aux détails insignifiants, se préoccupant plus d’éparpiller le sens que d’en saisir la cohérence.
Les migrations d’une mouche, dès lors, pourraient faire le sujet du livre à elles seules, et de ses yeux à facettes nous contemplerions dans l’écriture comme une fragmentation de notre existence insaisissable, pulvérisée : « Te rends-tu compte ? Tu couches avec l’inconnu, lueurs intermittentes d’un phare qui entre autres éclaire par une meurtrière vos sexuelles manières. » Et que dire de la tension particulière des tétons à un certain moment ? Que dire de cette matière translucide qui à un autre moment coule sur l’intérieur d’une cuisse ? Que dire de tant de détails accumulés en désordre sinon, précisément, qu’intermittentes, les lueurs n’en sont que plus éclairantes ?
Égarés dans un jeu dont la règle est changeante, nous recevons le cadeau que nous fait cette écriture, de ne nous donner que ce que nous voulons prendre, de ne poser en guise d’histoire que la clarté de phrases qui ne veulent rien imposer, qui d’un rien pourraient s’effacer, qui ne sont que des phrases d’ailleurs, ne prétendant à rien qu’à proposer les visions fugaces d’une histoire qui est notre vie la plus ordinaire. Laquelle précisément est beaucoup moins ou beaucoup mieux qu’une histoire.

L’Éparpillement des sites
Jean-Marc Baillieu
Spectres Familiers
(29, rue Barthélémy
13001 Marseille)
113 pages, 75 FF (11,43 )

1Éditions Au figuré, 1999 (3, rue Robert Blache 75010 Paris)
2Éditions Fidel Anthelme X, 2001 (6, rue des Abeilles 13001 Marseille)
3Éditions Contrat maint, 2000 (24, rue Saint Antoine 13002 Marseille)
4Éditions Le Bleu du ciel, 2001 (61, rue Judaïque 33000 Bordeaux)
5cipM / Spectres Familiers, 1998

Devenez écrivain Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°36 , septembre 2001.
LMDA papier n°36
6,50