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Domaine français L’huître et le néant

mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38 | par Pascal Paillardet

Hubert Michel récidive dans la littérature nutritive avec Tout s’avale. Ce roman alléchant impose une écriture de l’approche et de la suggestion, ironique et intimiste.

Flasque et terne, ratatinée dans son sarcophage de nacre, l’huître baille et se morfond dans la neurasthénie océane. L’étoile de mer l’engloutit, la moule l’étouffe, le bigorneau la taraude, la daurade la tronçonne. Ce n’est plus de l’animosité, c’est une autopsie. Une flaque de tragédie maritime. Originaire d’Ille-et-Vilaine, où l’huître se suicide à la douzaine entre les doigts ensanglantés d’aigrefins incapables de l’entamer au couteau d’écailler, Hubert Michel, 42 ans, émarge dans la liturgie ostréicole et l’élégie nutritive. Après Requiem pour une huître, paru il y a deux ans et aujourd’hui réédité en poche (Points-Seuil), il publie en ce début d’année Tout s’avale, son deuxième roman. « C’est une stagiaire du Dilettante qui a suggéré le titre Requiem pour une huître. La connotation »série noire« de la formule me rebutait. Ça faisait un peu trop Poulpe ! », dit-il, pensif, de sa voix calme qui semble solliciter la perplexité. Hubert Michel aurait apprécié davantage de platitude, quelque chose de moins arrogant que l’huître, de plus humain. Quelque chose comme Jacques Bénigne, ce peintre épris de mollesse et de conchyliologie dont il a retracé la solennelle lassitude dans Requiem pour une huître. Un roman élaboré sur les fondations ludiques d’une nouvelle de dix pages offertes pour son anniversaire à un ami (devenu dépressif ?), puis tronçonnée afin de fournir l’amorce et l’épilogue du roman. Qualifié de par son auteur, le manuscrit, achevé en une dizaine de jours, était à l’origine intitulé Jacques Bénigne est mort. Toutes nos condoléances. « J’écris sur le désespoir du quotidien. Je souscris à cette phrase du peintre Dubuffet : »Je suis avide de banalité« . J’aime sonder les vies en cale sèche, la marginalité, la solitude et le malentendu. J’ai besoin d’exprimer le désenchantement avec une certaine ironie, peut-être moins évidente dans Tout s’avale. Et puis j’ai très peu d’imagination. »Alors, plutôt que de s’abîmer dans la fastidieuse contemplation de son aquarium, Hubert Michel voyage. Jusqu’en Sicile. Où il s’ennuie au bord d’une piscine. « L’écriture de Tout s’avale découle d’un séjour estival en Sicile, il y a cinq ans. J’avais rempli un carnet de choses vues, d’ambiances, de détails dérisoires. L’inspiration peut jaillir de l’anodin. Ensuite, je travaille énormément les textes pour les démarquer de ma propre vie. Le style est essentiel. » Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Thomas Bernhard ont accompagné l’impétrant durant les prolifiques années de tâtonnement stylistique. « Sept ou huit romans inachevés dormiront à jamais dans mes tiroirs. » Des romans de tous styles. Style classique. Style à l’avenant. Style fainéant : l’un de ces cadavres, aux ambitions conceptuelles, L’Hésitation, commençait brillamment par se soulager de son sujet (« Il »), se reposait avant de libérer deux cents pages plus loin le verbe (« hésite »), mais échouait hélas à relaxer le complément !Cette bibliographie officieuse s’enorgueillit d’une pièce de théâtre écrite à onze ans sur une table de ping-pong, d’un répertoire de chansons, et d’une fiction rédigée lors d’un périple sur la Route 66, aux États-Unis : Ce polar, paré d’un titre comme un semi-remorque, déroulait son convoi de 22 épisodes., se souvient Hubert Michel. Vagabond du rail depuis son adolescence, celui qui se rêvait -il adore la course à pied- a quitté le lycée à vingt ans pour parcourir les routes d’Europe en auto-stop. Quelques bourlingues au Mexique et aux États-Unis, « Lincoln était peut-être un grand homme mais pas un chauffeur routier. » Ce polar, paré d’un titre comme un semi-remorque, déroulait son convoi de 22 épisodes. « Je les envoyais quotidiennement à un ami resté en France », se souvient Hubert Michel. Vagabond du rail depuis son adolescence, celui qui se rêvait « chanteur ou footballeur » -il adore la course à pied- a quitté le lycée à vingt ans pour parcourir les routes d’Europe en auto-stop. Quelques bourlingues au Mexique et aux États-Unis, un emploi dans un centre de tri postal dès 1982, des études rattrapées en 1987 (maîtrise ), enfin un travail d’attaché de presse, hier chez Albin Michel et aujourd’hui chez Gallimard Jeunesse : Hubert Michel a toujours aimé brocarder l’existence. « J’envisage ma vie comme un jeu. Je ne déteste pas les détours. »Sa littérature, comme son parcours, sacrifie à cet art de la digression. Instruit par les lectures de Jean-Philippe Toussaint, Christian Oster ou Christian Gailly, Hubert Michel est un virtuose de l’apostille, des annotations en marge du récit. Cette écriture en halte-garderie brave avec effronterie l’intrigue, traque le mot juste, s’enroule autour de son sujet sans l’étouffer. Elle impose son ton, sa sincérité, et non ses agitations. « Je vois que vous avez bien lu Jean-Philippe Toussaint », l’avait félicité Irène Lindon après la lecture du manuscrit de Requiem pour une huître. Ce jour-là, reçu durant une heure aux Éditions de Minuit (« J’avais l’impression d’être assis dans le siège de Samuel Beckett »), Hubert Michel avait presque oublié que son interlocutrice ne le publierait pas. Retour au bord de la piscine. Où Hubert Michel s’immole et se liquéfie sous le ciel incendié de Sicile, envisage la température de la piscine, puis se rétracte. Il rêve, médite, paresse ; il tend un guet-apens à son inspiration. « Ma vie ressemblait alors à un tableau d’Edward Hopper. En apparence, il ne s’y passait rien », écrit-il dans Tout s’avale. Hubert Michel est un coquillage filtreur. Et tout s’avale. Cette formule est l’oeuvre du clarinettiste et saxophoniste américain Tesh. Le jazzman Mezz Mezzrow en rappela la mélancolie dans son livre La Rage de vivre. Tout s’avale : l’alcool, la fumée, et les couleuvres, faute de mieux. Cette anxiété, cette morosité, perçues à distance depuis le bord d’une piscine, imprègnent le roman d’Hubert Michel. Un récit qui explore avec sensibilité le vague à l’âme d’un indolent maquisard de l’existence, tapi en embuscade dans la chambre 245 aux côtés d’une naïade intérimaire. Dans cette étroite géographie, Hubert Michel, et c’est là son talent, parvient à déployer tout un univers de sensations et de suggestions. Il pratique la littérature comme d’autres la culture en pot. On goûte évidemment à cette végétation, mais on plaiderait parfois pour la venue d’orages qui la défriseraient. Hubert Michel songe à ces bourrasques. « Si Requiem pour une huître et Tout s’avale sont malgré tout des livres graves et intimistes, j’ai envie à l’avenir de prendre des risques, d’aborder des thèmes douloureux qui me tiennent à coeur, l’inceste, la déchéance. » Après l’huître, l’oursin.
Tout s’avale
Hubert Michel
Le Dilettante
185 pages, 14 (91,83 FF)

L’huître et le néant Par Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°38 , mars 2002.