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Poésie Inaltérable Helder

juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39 | par Marc Blanchet

Étonnante machine lyrique, la poésie du Portugais bénéficie enfin d’une somme anthologique. Un travail conséquent pour une oeuvre perturbant nos perceptions afin de libérer une vision nouvelle du réel.

La poésie du Portugais Herberto Helder procède et naît d’un flux continu, où l’interférence même d’une pensée ou d’une image participe à cet écoulement incessant semblable au passage du temps. C’est le monde lui-même qui surgit à travers cette temporalité, et qui, par ses métaphores, ses obsessions, ses saccages ou ses joies, s’érige en poème. Cette parole prononcée, jamais interrompue -ce serait interrompre le monde-, trouve dans le titre du volume Le Poème continu, sous-titré somme anthologique, un témoignage parfait de sa nature. C’est un remarquable travail que nous livrent là les éditions Chandeigne, avec le soutien de l’Institut Camões. Cette publication en bilingue d’environ quatre cents pages, réalisée avec justesse et talent par Magali Montagné et le poète Max de Carvalho, couvre l’ensemble de la production du poète portugais. Plusieurs recueils d’Herberto Helder sont parus précédemment en France : aux éditions Lettres vives (Science ultime ; Les Sceaux), à La Différence (La Cuiller dans la bouche ; Du monde) et chez l’éditeur midi-pyrénéen Babel (L’Amour en visite). Depuis la publication de ce premier poème en 1958, Herberto Helder occupe une place d’importance dans son pays. La nature visionnaire, tellurique, hallucinée de sa poésie est sans commune mesure. Ses poèmes déroulent sous nos yeux sensations, pensées, images en un souffle incroyable, brisant au passage les conventions du discours lyrique, redonnant à l’intériorité de l’enfant son rôle essentiel (« le poète, un enfant qui se souvient », écrivait Baudelaire), pulvérisant tout effort formel trop confortable.
Ce magma a pourtant son intelligibilité, toujours visible, même s’il invite au secret, voire au recueillement. Il s’agit de saluer les apparitions qui font le monde, et ainsi notre vie : les mères, femmes et menstrues, les nuits, violence et beauté, le corps, crâne et os prêts à surgir en plein jour. Ainsi le poème qui commence Science ultime : « Avec une rose au fond de la tête, quelle obscure façon/ de mort. Un parfum de sang flotte sur la chemise/ froide, la bouche remplie d’air, la mémoire/ faisant écho aux voix/ de maintenant. Assis là, le voici briller de tant/ de molécules/ vivantes, de tant d’hydrogène, de tant de soie qui s’affaisse/ des épaules. Il touche/ où point la rose. Un enfant/ luciférien. Sa mère fermait,/ ouvrait alentour un torrent d’atomes/ sur son visage. Ce qui l’étrangle des poumons/ à la gorge/ c’est la rose innée. Il porte un bras à son dos,/ tout en sueur, rayonnant/ à travers le sommeil. Brûlé où on le touche. Il parlerait fort/ si son poids l’enfonçait à hauteur de voix./ Il voyait la matière radieuse dont le monde est fait./ La langue douceur de lait,/ la main droite dans cette masse aigre, le sexe baignant/ dans la source secrète./ Le don qui trouble l’enfant est aussi léger/ que la respiration, aussi léger que/ l’agonie./ Une rose au fond de la tête. »
Si nous avons souhaité citer en entier ce poème, c’est pour montrer que cette profusion n’est pas une simple architecture baroque se déployant avec séduction : elle développe un rythme précis, soutenu, dont la violence, la versatilité pourrait-on dire, ne nuit jamais à la clarté du propos, ni à la justesse des images. Herberto Helder est par cette justesse devenu un monstre sacré en son pays, avec une force de caractère qui l’a souvent incité à rester distant de la vie littéraire.
Cette somme anthologique est bien sûr née d’un choix : en reprenant intégralement les récents recueils (Science ultime, Sceaux et Autres sceaux) et partiellement de plus anciens. Mais elle va plus loin : elle ne « découpe » pas l’oeuvre, ce poème continu, avec les titres des recueils. Seuls quelques astérisques entre les poèmes renvoient le lecteur en fin de volume pour trouver lui-même ses repères dans l’oeuvre. Cette fidélité à la poésie du Portugais permet à cette anthologie d’être un corpus impressionnant -et enthousiasmant : ce flux lyrique d’une singularité étonnante nous emporte, avouant lui aussi sa stupeur au sujet de l’être et la nature, et leur indicible interaction. Car l’indicible parle dans ce livre : le sens le plus riche qui soit transparaît ainsi d’être inexprimable. Herberto Helder prouve aussi, par ce livre, qu’il est demeuré fidèle à un rythme, à une vision du monde, un émerveillement douloureux qui n’ont jamais cédé aux séductions formelles d’une certaine modernité et donnent une cohérence rare à une poésie sur toute une existence. De nombreux poèmes inédits donnent également toute son importance à ce travail titanesque de traduction. Humus, Flash, les extraits de Vox & Photomaton, Lugar ou Exemplos offrent, entre autres, au connaisseur le plaisir de nouvelles découvertes. On est presque frustré de ne pas avoir l’intégralité de cette poésie. N’oublions pas de ce fait les proses publiées par Arléa Les Pas en rond, le superbe texte Paysage mental à la fin de Du monde aux éditions La Différence, et toujours chez ce même éditeur, la défunte revue Polyphonies, qui consacra son vingtième numéro au poète. Enfin, Le Courrier du Centre International d’Études Poétiques a également consacré son numéro 223-224 à Helder, avec une anthologie déjà conséquente et un entretien passionnant du poète par lui-même.
Si certains poètes portugais contemporains sont maintenant assez bien connus en France, notamment par le travail des éditions L’Escampette et La Différence, ou leur publication en Poésie/Gallimard (Antonio Ramos Rosa et Nuno Júdice), Herberto Helder, loin d’être un chaînon manquant (d’ailleurs en quoi a-t-il les caractéristiques d’un « poète portugais » ? -la question est posée), constituera pour beaucoup une découverte de taille. Peut-être que cette parution imposera son génie : la chose est lourde à porter, mais le mot n’est pas de trop.

Le PoÈme continu
Herberto Helder
Traduit du portugais par Magali Montagné et Max de Carvalho
Éditions Chandeigne
394 pages, 20 euros

Inaltérable Helder Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°39 , juin 2002.
LMDA PDF n°39
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