Ivo Andric était un homme élégant et discret. Le prix Nobel de littérature obtenu en 1961 ne changea pas ses réticences envers une quelconque démarche publicitaire. Il resta discret jusqu’à sa mort, en 1975. En conséquence, comme le note Predrag Matvejevitch dans la préface du présent recueil de nouvelles L’Éléphant du vizir, dans certains pays comme la France, son oeuvre reste à découvrir. Ce qui se fait progressivement au gré des parutions, notamment au Serpent à plumes qui ont déjà publié deux autres volumes (Omer Pacha Latas et Titanic et autres contes juifs). Le livre le plus célèbre de cet écrivain originaire de Bosnie est Le Pont sur la Drina (Belfond). À travers la réalisation et l’existence d’un pont hautement symbolique, au-dessus d’une rivière séparant en Bosnie deux religions et deux pays, Andric raconte ces histoires non écrites des peuples sans jamais sombrer dans le folklore ou le passéisme réducteur. Certains cherchent aujourd’hui dans les ouvrages d’Andric les réponses aux folies des années passées mais on peut préférer à cette délicate démarche le plaisir de lecture du conteur Andric et sa multitude de personnages à l’humanité fragile, soumis au vent de l’histoire, balbutiant leur existence et toujours aptes à négocier leur part de plaisir. C’est encore le cas dans ce volume dont la nouvelle-titre, L’Éléphant du vizir, raconte comment l’irruption d’un animal extraordinaire dans une petite ville de cette Bosnie du passé, occupée par les Turcs, va réorganiser la vie et la haine en lui donnant un sens.
On y trouvera également un entretien imaginaire avec Goya dans lequel Ivo Andric, en adepte de la discrétion et de la pudeur, utilise la voix du peintre pour donner quelques-unes de ses réflexions personnelles : « C’est à ce moment que j’ai compris toute la misère des hommes puissants, mais ignorants, des « hommes d’action », en même temps que l’impuissance, la faiblesse et la confusion du monde de la science et de l’écriture ».
L’Éléphant du vizir
Ivo Andric
Traduit du serbo-croate
par Janine Matillon
Le Serpent à plumes
292 pages, 7 euros
Poches Contes de la fragilité
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Christophe Dabitch
Un livre
Contes de la fragilité
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.