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Histoire littéraire Le louÿsophile Goujon

septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40 | par Éric Dussert

Dans les pas de Pascal Pia et de Robert Fleury, Jean-Paul Goujon poursuit les recherches sur l’une des figures les plus fascinantes de la littérature du début du XXe siècle : Pierre Louÿs.

Pierre Louÿs, une vie secrète (1870-1925)

Dossier secret Pierre Louÿs-Marie de Régnier

Mille lettres inédites de Pierre Louÿs à Georges Louÿs

Pierre Louÿs est un continent qu’explore sans se lasser Jean-Paul Goujon depuis plus de vingt ans. Installé dès 1975 à Séville où il enseigne à l’université après un court séjour à Jassy (Roumanie), ce Bordelais est l’un des plus fidèles enquêteurs qui se soit consacré à Pierre Louÿs. Malgré plusieurs infidélités commises sous la forme de biographies de Renée Vivien (1986), Jean de Tinan (1991) ou Léon-Paul Fargue (1997), il consacre à l’auteur d’Aphrodite une attention unique, justifiée si l’on considère la nouvelle édition de sa biographie susceptible de mettre à bas l’idée préconçue d’un impossible mariage de la sensualité et de l’érudition. Louÿs fit en effet de l’érotisme un champ de recherche esthétique incomparable. Et cela convient très bien à J.-P. Goujon, personnage singulier lui-même, nimbé d’une solide réputation de mystificateur sulfureux et d’amateur des « curiosa » selon la dénomination de la littérature érotique dans le milieu du livre ancien.
Sous un masque faunesque, sinon faustien, l’universitaire s’inquiète des pilosités 1900 tout en s’affairant à sortir de son placard doré Pierre Louÿs, original de grand talent, écrivain plus que doué curieusement rangé parmi les marginaux de tout poil parce qu’irréductible à une définition simple. C’est ainsi que l’édition de sa longue correspondance avec son frère Georges, personnalité diplomatique de l’époque, met en lumière un Pierre Louÿs affectueux informant son frère de toutes ses affaires éditoriales et sentimentales. Cette monumentale correspondance (dont seules avaient paru, à notre connaissance, quelques lettres relatives au poème d’amour sublime Pervigilium mortis -réédité par les éditions Finitude (MdA 39)-, dans la collection belge « Complément à la bibliothèque de Pascal Pia » en 1990) donne encore une autre image de l’écrivain, plus fin analyste de la géopolitique que l’on aurait pu supposer.
Qu’est-ce qui vous fascine le plus chez Pierre Louÿs, sa personnalité, son talent ou sa relation avec la belle Marie de Régnier dont vous éditez le Dossier secret ?
Louÿs est un de ces auteurs qui sont encore plus intéressants par leur personnalité que par leur œuvre, et aussi parce ce qu’ils ont voulu faire, plus encore que par ce qu’ils ont fait. Son œuvre est diverse, et, sans doute, ce qui en restera, ce sera Bilitis et surtout La Femme et le Pantin. Mais il y a tout de même aussi son œuvre secrète, non seulement ses écrits érotiques, bien sûr, qui forment une masse gigantesque, mais tous ses projets et toutes ses notes inédites, qui sont parfois étonnants. Ses curiosités étaient innombrables, et certaines assez inattendues. Il a essayé d’aller jusqu’au bout dans diverses directions, et pas seulement dans la pornographie. D’autre part, sa vie ne fut pas non plus banale, et elle est riche en contrastes. Sa liaison avec Marie de Régnier n’en est certes pas l’épisode le moins curieux, d’ailleurs très caractéristique de sa psychologie.
Pourquoi cette nouvelle édition de votre biographie de Louÿs ?
D’abord parce qu’une loi infaillible veut que, dès qu’on publie une biographie, de nouveaux documents inédits ne tardent pas à surgir, à votre grand désespoir… Tel a été le cas pour Louÿs depuis 1988, aussi bien dans les ventes publiques ou chez les libraires que dans certaines collections particulières. La masse de papier noircie par Louÿs en trente-cinq ans de vie adulte a quelque chose de vertigineux, aussi bien ses notes, projets et écrits intimes que sa correspondance. Tout cela a donc eu pour conséquence de m’obliger à rectifier certains points, et surtout à en compléter de très nombreux autres. Louÿs a eu une vie très curieuse, a fréquenté quantité de gens extrêmement divers. J’ajoute que ce que j’ai dit de son érotisme et de sa production pornographique (et qui a semblé excessif à certains lecteurs) est sans doute, par la force des choses, encore très partiel, mais oui. Qu’il s’agisse des curiosités de Louÿs, de ses écrits libres, et aussi de ses photos érotiques, nous ne sommes pas au bout de nos découvertes, croyez-moi… De quoi faire une nouvelle biographie en 2020 ou 2030 !
Les lettres qu’il écrit à son frère sont révélatrices de la variété de ses projets et de sa vie intime.
Oui, c’est même une espèce de journal intime, avec cet aspect au jour le jour, car il lui écrivait plusieurs fois par semaine. Il y a donc cet aspect de confidences, parfois très libres (sur Zohra bent Brahim, sur Marie de Régnier, sur Moriane, par exemple), et aussi tout ce qui lui passait par la tête : aussi bien des projets littéraires (il n’en manqua jamais), son état de santé (il se plaint souvent), et l’actualité politique d’alors, à laquelle il s’intéressait de très près. N’oublions pas que Georges Louis était l’un des premiers personnages du Quai d’Orsay, et qu’il eut l’ambassade de France en Russie, c’est-à-dire, en ces temps d’alliance russe, notre première ambassade à l’étranger, un peu l’équivalent de ce qu’est aujourd’hui celle de Washington. D’où toute une série de lettres étonnantes et très lucides sur de grandes crises comme Fachoda ou Agadir. Mais il y a aussi les longues lettres où Louÿs commente au jour le jour la gestation de Poëtique et du Pervigilium mortis, « works in progress » assez fascinantes.
Depuis quand vous intéressez-vous à l’histoire littéraire, et plus spécialement à Pierre Louÿs ?
Depuis pas mal de temps. Pour Louÿs, le déclic est venu d’un article d’Hubert Juin sur le livre de Robert Fleury, Louÿs et Gilbert de Voisins, article qui m’est tombé entre les mains un beau jour de 1973, à la bibliothèque de l’Université de Jassy. Comme on y parlait de la préface de Pascal Pia, je suis entré en correspondance avec celui-ci, lequel dut sans doute être un peu étonné de voir quelqu’un lui écrire du fond des plaines moldaves à propos de Louÿs et de Renée Vivien (à laquelle je m’intéressais aussi beaucoup alors). Avec une générosité extraordinaire, Pia me répondit de longues lettres pleines de précieux renseignements et très marquées au coin de sa personnalité si particulière, dont l’érudition n’était qu’une facette.
Quel rôle a-t-il joué pour vous ?
Un rôle énorme, mais qui débordait de beaucoup la littérature et l’histoire littéraire… Disons, pour rester dans notre sujet, qu’il donnait l’exemple d’une approche à la fois très « savante », et très libre et très personnelle, des œuvres et des hommes. En même temps, il avait le goût des poètes, des hétérodoxes, des non-conformistes, et le personnage de Louÿs avait tout pour l’intéresser. Pia m’a mis en relation avec Robert Fleury, lequel est devenu ensuite lui aussi un ami. Entretemps, mes recherches sur Vivien ont abouti à une thèse de doctorat d’État, dirigée par Michel Décaudin et qui a fourni plus tard la matière d’une biographie, que j’ai publiée chez Régine Deforges parallèlement à une édition des poésies. Je n’avais pas lâché Louÿs pour autant, et m’étais aussi lancé dans des recherches sur son ami et complice Tinan. Tout cela aboutit tout naturellement à deux autres biographies, car, sur ces deux auteurs, curieusement, il n’y en avait point alors.
Avec qui avez-vous partagé cet intérêt pour Louÿs et la littérature fin-de-siècle ?
Ces diverses recherches m’ont aussi permis de connaître pas mal de gens, dont William Théry, qui était alors gardien au musée du Tau, à Reims, puis facteur, et m’avait écrit à propos de Tinan, en 1975, alors que je venais de me fixer à Séville. Nous eûmes l’idée de créer une Association des amis de Pierre Louÿs, qui publia divers bulletins (les premiers imprimés en douce sur l’imprimerie d’un sex-shop rémois spécialisé dans les envois sous pli discret, au Moyen-Orient, de publications hard !), puis donna naissance aux éditions À l’Écart, sur lesquelles il y aurait beaucoup à dire. Auriant et Pia nous aidèrent énormément, chacun à sa manière. Pia était émerveillé que Théry, qui faisait alors son service militaire, eût réussi à amadouer son adjudant… Théry avait fait bien mieux : il avait fait lire et apprécier L’Épaulette, ce chef-d’œuvre antimilitariste de Darien, à cet adjudant, que je revois encore sur une chaise, chez Théry, en train de s’imbiber avec le plus grand sérieux de l’édition 10-18 de ce roman. Pour en revenir à Hubert Juin, on peut penser ce qu’on veut de lui, mais c’était quelqu’un qui aimait vraiment la littérature, connaissait bien l’histoire littéraire, fit redécouvrir beaucoup d’auteurs, et savait parler d’un livre en en montrant la chair, la vie même…
Justement, que pensez-vous de la critique littéraire actuelle ?
Les vrais critiques semblent avoir disparu, en général, sans doute parce que la littérature a définitivement cédé la place au marketing. Quand on voit par exemple ce qu’étaient les feuilletons de Pia dans Carrefour, quelle dégringolade depuis ! Il n’y a plus guère que La Quinzaine littéraire qui sauve souvent l’honneur. Il me suffit de feuilleter le dossier de presse de mes diverses biographies : sauf rares exceptions, c’est toujours le même article, où l’on déroule la vie de Louÿs ou de X, de la naissance à la mort… On paraphrase la quatrième de couverture, on brode un peu dessus, on picore quelques anecdotes çà et là dans le livre, et le tour est joué. Inutile de chercher un jugement sur la manière dont a été conçue la biographie, ou le livre lui-même, les illustrations, etc. Évidemment, on va me dire : « De quoi vous plaignez-vous, puisqu’on a parlé de votre livre ! » Il ne sert donc à rien de répliquer avec Louÿs qu’on aimerait un peu moins de publicité et un peu plus de littérature.
Un personnage très curieux participait à votre aventure éditoriale : qui était Auriant ?
Très différent de Pia, à tous les égards… D’origine égyptienne (il s’appelait Alexandre Hadjivassiloiou), Auriant avait été un familier du Mercure de France, dès les années 1920. Il avait connu Georges Sorel, Montfort, Fleuret, et surtout Vallette, Rachilde, Léautaud, Mandin, Dumur, etc. « L’homme qui m’a le plus impressionné, c’est monsieur Vallette », disait-il (il disait toujours : « Monsieur Vallette »). Il avait plein de souvenirs sur le Mercure, et aussi de documents inédits, car Rachilde l’avait chargé, dans les années 1940, d’écrire l’histoire du Mercure, projet jamais mené à bien. C’est lui qui a trouvé le nom de la maison d’édition de Théry : À l’Écart, titre d’un roman de jeunesse de Vallette. Il lui a donné pas mal d’articles et d’études, d’abord sur Darien et Rebell, ses deux dadas, mais aussi sur des écrivains moins connus comme Céard ou Codet. Il s’intéressait beaucoup à Nerval, sur lequel, paradoxalement, il était très réservé : « Nerval est un petit-maître ! » s’écriait-il. Il faut dire qu’il avait systématiquement dépouillé, à la BN et ailleurs, durant plus de quarante ans, une infinité de petites revues et surtout de journaux de l’époque 1830-1914, et avait aussi recopié chez le grand expert Andrieux nombre d’autographes qui devaient passer en vente publique. D’où une documentation vraiment énorme. Très indépendant, souvent capricieux, avec des partis pris littéraires parfois déconcertants, il ne vivait que pour ses recherches, demeurant seul dans une mansarde du boulevard Beaumarchais, où il travaillait sur le propre bureau de Remy de Gourmont, qu’il avait racheté à la mort de Jean de Gourmont. Théry lui a ainsi publié un certain nombre de plaquettes sur Darien, Rebell, Gauttier d’Arc, Jean de Mitty, une curieuse biographie de Nerval, un déboulonnage d’Alphonse Daudet, le tome I (seul paru) du Théâtre inédit de Darien, un amusant recueil de dessins libres d’Henry Somm (La Marguerite), un beau reprint intégral de la revue de Darien, L’Escarmouche, ainsi que des articles dont certains sont assez curieux comme le texte inédit du Dit de l’honnête sodomite de Louis-Numa Baragnon.
À propos de curiosités littéraires, l’un des épisodes les plus intéressants et curieux de la vie de Louÿs est cette fameuse affaire Corneille-Molière durant laquelle il a défendu la thèse que certaines pièces de Molière étaient de la main de Corneille. Ses arguments furent repris par Henry Poulaille et soutenus par René-Louis Doyon contre la Sorbonne. Pourriez-vous nous en parler ?
Impossible de le faire en quelques mots. J’y ai consacré tout un chapitre dans mon livre, mais je dois avoir photocopie de plus d’un millier de pages de notes inédites de Louÿs sur le sujet. Je pense publier cela un jour, mais, pour ce faire, il convient de le présenter correctement, et là, il faut des années de recherches… Louÿs avait non pas une érudition, mais une connaissance vertigineuse de la littérature, mais aussi de l’Histoire, de la société et de la politique, des XVIe et XVIIe siècles, et être à sa hauteur n’est pas facile du tout. Il est possible qu’il ait déraillé sur certains points, mais je ne crois pas sur tous. Affaire à suivre…
Les Anglais ont débattu longtemps de la question Shakespeare, qu’est-ce qui empêche les Français d’interroger à leur tour la figure de Molière ?
Molière est en effet assez intouchable, mais ce ne sont certes pas les tabous qui manquent à notre époque… Maintenant, il ne s’agit pas tant, pour Louÿs, de démolir Molière que d’exalter Corneille, je veux dire d’entreprendre une vaste lecture-enquête, qui partant de celui-ci englobe aussi Molière. Or, Corneille, qui est peu lu actuellement, mérite qu’on s’intéresse sérieusement à sa biographie comme à son œuvre. Louÿs a déraillé ? Tant mieux, car dérailler peut être aussi une chose fort intéressante…

Jean-Paul Goujon
Pierre Louÿs, une vie secrète
(1870-1925)

Fayard - 924 pages, 40
Dossier Secret : Pierre Louÿs-
Marie de Régnier

Christian Bourgois - 196 pages, 20
Pierre Louÿs
Mille lettres inédites à
Georges Louÿs (1890-1917)

Fayard - 1320 pages, 45

Le louÿsophile Goujon Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°40 , septembre 2002.
LMDA PDF n°40
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