Il est bien connu qu’intérimaire n’est pas un métier mais bel et bien une fonction : l’homme s’y dilue, n’apparaît qu’en filigrane derrière la tâche. Quand, de surcroît, on est maghrébin et banlieusard, le peu d’âme qui colle encore à cette silhouette vague, prend la poudre d’escampette dans les tunnels du métro. Thierry Beinstingel nous détaille l’épopée hebdomadaire d’un héros anonyme aux prises avec les rites quotidiens qui préservent la carcasse aux dépens du bonhomme.
L’anonymat est ici élevé au rang de figure de style pour mettre en relief les conséquences ultimes d’une aliénation parfaitement agencée et banale. Ce livre est un bon à tirer de la monotonie quotidienne. La description minutieuse des objets, de la nourriture, des composants, justement, donne le vertige : « cadran », « simple acier », « nylon titane », « ensemble auto-entrant », « plastique thermodurcissable », etc. le tout pêle-mêle, dans un bric-à-brac qui multiplie les structures du néant. Ainsi tout au long des pages, notre héros, passe-muraille, s’accroche comme le chiendent au goudron des zones industrielles et aux parpaings des entrepôts. Seul havre, les trouées des souvenirs ensoleillés, appels d’air intimes où notre trimeur s’engouffre, las d’avoir vouvoyé tout le temps son prochain. Tout ce livre est scandé par le lent écoulement des jours, les chapitres n’étant rien d’autre que leur pénible autopsie, leur mauvaise haleine. Anatomie d’un néant quotidien où l’on voit que l’effacement de l’homme est le prix de la plus-value.
Si l’intention de l’auteur a été de nous restituer, par le style de son écriture, la pesanteur des jours de travail, le pari est réussi. Il nous tend ses phrases comme le reflet d’un miroir de cafétéria, au soir, éclairé par l’écran de l’ordinateur qui comptabilise les steaks frites avalés dare-dare.
Ouvrage quasi pédagogique, Composants illustre combien la production des biens repose sur des individus qu’on oublie de regarder, à défaut de les voir, histoire de se donner bonne conscience.
Composants
Thierry Beinstingel
Fayard
225 pages, 17 €
Domaine français Trimer sa vie
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Giovanni Angelini
Un livre
Trimer sa vie
Par
Giovanni Angelini
Le Matricule des Anges n°41
, novembre 2002.