Dans « Des secrets bien gardés », troisième texte de Je ne suis pas un héros qui sort ces jours-ci en Folio, Pierre Autin-Grenier nous entretient de la huppe à plumes rousses qui « passe pour deviner les secrets des hommes ». En voilà une, justement, qui vient d’arriver dans le jardin de notre narrateur et entreprend de fouiller la terre. Cela intéresse notre bonhomme qui prévient : « Moi mes secrets je me garde de les abandonner dans l’herbe, les laisser prendre racine en plein vent, pour que le premier venu sans peine me les arrache et s’en repaisse avec l’écœurante gloutonnerie du malfrat qui, vous ayant mis à nu, ne songe plus qu’à vous tenir à sa merci, exploitant votre honte ou votre légitime pudeur pour chaque jour vous avilir un peu plus. » Et d’ajouter : « Non, les moins infâmes je les tiens dans mon cœur de pierre » où le dernier mot, homonyme du prénom de l’auteur, sonne bizarrement. Pendant ce temps, l’oiseau curieux continue sa fouille et : « Quelque chose, ça y est ! lui vient au bout du bec !… C’est une sorte de costaud lombric (…) » tellement costaud que la huppe « pique du nez, (…) panique, gigote, en vain se roidit, déjà se retrouve jabot ras la poussière ! » Bref, le plumitif est avalé par le lombric. Forcément, on pense à ce récit qui ferait la joie des freudiens, lorsqu’on aborde le chemin du Rocan qui conduit à La Salamandre, demeure de l’auteur. On a beau n’avoir ni plumes ni bec, on n’aimerait pas finir en autruche. Dès lors, le mieux serait de s’en tenir, comme d’autres le firent, à l’évocation des andouillettes, à vanter les mérites des blancs de bourgogne et des rouges du Rhône. Venir avec son couteau et sa serviette plutôt qu’avec son stylo et son carnet.
L’œuvre de Pierre Autin-Grenier, à notre époque futile, s’y prête après tout : on n’y mange pas mal (autant en quantité, qu’en qualité), on y boit bien (idem) et la nonchalance semble se porter en toutes saisons. Et comme l’auteur et sa femme, épatant cordon bleu, insistent : « vous venez manger, hein ? Sinon, on ne pourra pas travailler… », on se laisserait plutôt aller sur la pente descendante du Ventoux (juste en face), que s’entêter à vouloir grimper au sommet, ce jour-là enneigé.
Mais c’est oublier que l’œuvre (ce mot fait venir des ricanements à notre hôte) possède plusieurs faces et que celle qui s’offre d’abord au regard, masque, dans la pudeur évoquée plus haut, l’abrupt gouffre qui fait qu’on écrit…
Ce gouffre n’apparaît pas toujours dans les titres des brefs récits publiés par L’Arpenteur : de « Une andouillette m’attend » à « Je crois bien que je suis comme Marcel Proust », en passant par « Une entrecôte drôlement politisée », on verrait là des promesses de bonne rigolade. Mais c’est oublier de plus poignants rendez-vous, fixés, notamment, par « 137, rue Cuvier » qui voit un fils venir au chevet de sa mère qu’il hait, d’une haine où agonise un rêve d’amour…
Et il suffit d’aller voir du côté d’Histoires secrètes (1982) joliment...
Dossier
Pierre Autin-Grenier
Autin-Grenier : de l’inconvénient d’être né
Dans les portraits que son ami Shahda a peints de lui, on voit Pierre Autin-Grenier sortir de l’ombre. C’est une image juste. D’une enfance plombée par les conditions de sa naissance, l’homme a tiré le besoin vital d’écrire. Comme un exorcisme ou le seul moyen peut-être d’accéder au jour, avec humour.