Ce Départ et retour de György Konrad, hongrois lui aussi, peut être lu en écho au célèbre Être sans destin de Imre Kertész, que le prix Nobel vient de récompenser. Renaissent, dans ce récit d’une enfance bouleversée par la Shoah, les odeurs, les sons, les couleurs et les visages d’une bourgade perdue à la frontière de la Roumanie -d’où Konrad devra fuir pour Budapest, puis revenir, après la Libération, avec l’espoir insensé de retrouver ses parents déportés. Ce n’est pas exactement le shtet’l polonais -celui de Singer par exemple- mais on y trouve des paysans et de frustes cochers, des synagogues et l’école du Talmud, le heder -auquel il échappe, ses parents se voulant assimilés, notables discrets. « À onze ans, le 15 mai 1944, je dus apprendre que mon père ne m’appartenait pas à moi, mais à la gestapo. » Sa mère suivra volontairement son père dans un camp d’internement, où ils survivront, échappant ainsi à Auschwitz. « Alors je me secouai. Oui, il fallait quitter cette maison ! » Dès lors il entreprend de se cacher dans Budapest -et fait preuve de ressources inouïes de courage et de ruse, avec une innocence qui n’empêche pas la claire conscience des périls. Ballotté entre différents membres de sa famille, il échappe à la « désinsectisation » qu’entreprennent les Allemands, sans trêve ni pitié, jusqu’à l’arrivée de l’Armée Rouge. La mort le frôle : il fait du patin sur la terrasse mitraillée par les avions russes, une balle vient transpercer la marmite où cuisent quelques haricots…
Le récit avance, avec une sorte d’humour décalé, de tendre lucidité, avec cette fidélité au regard et au jugement -ou à l’absence de jugement- de l’adolescent. Richesse -mais peut-être aussi limite- de cette œuvre : l’adulte, le sociologue dissident de la révolution massacrée de 56, le romancier aujourd’hui reconnu, s’absentent ici. Seul se débat l’adolescent survivant -qui aura ensuite à supporter le poids de cette question : « Sais-tu que tu vis à la place des autres ? »
Départ et retour
György Konrad
Traduit du hongrois
par Georges Kassai et Gilles Bellamy
Mille et une nuits
151 pages, 12 €
Domaine étranger Candide en Hongrie
janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42
| par
Thierry Cecille
Un livre
Candide en Hongrie
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°42
, janvier 2003.