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Essais Au dix-septième ciel

mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44 | par Gilles Magniont

Le Grand Siècle était un vrai Cochon : pour preuve, les leçons d’anatomie de Bouchard, et un essai qui s’applique à libérer l’âge classique de ses pudibondes "bandelettes".

Inutile de chercher Bouchard (1606 ?1641) dans le noble Dictionnaire des Lettres Françaises consacré au XVIIe siècle, chez Fayard : il n’y a pas d’entrée. Il faut dire que ses quelques écrits sont longtemps restés confidentiels, tel ce curieux manuscrit de vingt-sept feuillets découvert en 1850, et qu’on baptisa alors du nom un peu chargé de Confessions. Seulement, assis entre Saint Augustin et Rousseau, notre bonhomme fait tache -car que raconte-t-il ? À grands traits, qu’un certain Oreste tente sur ses vingt-trois printemps de débaucher une jeune paysanne, mais qu’il se voit frappé d’impuissance, puis distingue la cause dudit mal dans une carrière sexuelle déjà fort diverse et fort remplie, avant de procéder à d’alertes examens gynécologiques sur la servante de la maison. On peut bien sûr s’interroger sur la part de fiction (Jean-Jacques fut-il cet Oreste ?), plaider prudemment pour le demi-roman, toujours est-il que, comme l’écrivait en souriant Aldous Huxley, dans un commentaire lumineux qu’Éric Marty propose ici en annexe de son édition, « il est vraiment surprenant de voir un sujet de Louis XIII écrire au sujet des formes moins avouables de l’activité sexuelle dans le style tout uni et terre à terre d’une moderne » college girl « répondant au questionnaire d’un anthropologue. »
Bouchard l’obscur retrouve voix au chapitre, comme nombre de ses camarades libertins et érudits, dans l’essai de Michel Jeanneret intitulé, et c’est dommage, Éros rebelle. Retenons plutôt le sous-titre Littérature et dissidence à l’époque classique, qui dit mieux les visées de l’universitaire : révéler, à rebours des représentations figées et partiales, l’appétit de sédition qui parcourt les œuvres trépidantes et les auteurs tourmentés du temps, pour lesquels droit d’aimer et droit de penser sont intimement liés. Jeanneret souligne notamment qu’aux alentours de 1600, la gaillardise de tradition cède le terrain à un « érotisme dur, agressif », comme pour mieux répondre au durcissement de la répression. Les recueils obscènes se multiplient, un nouveau marché se développe, certains auteurs glissent dans une semi-clandestinité, d’autres pratiqueront la « poétique de l’esquive ». « Nuls traits à découvert n’auront ici de place ;/ Tout y sera voilé, mais de gaze, et si bien,/ Que je crois qu’on n’en perdra rien », écrit La Fontaine le très adroit dans ses Contes… Il faut savoir gré à Éros rebelle de donner à voir les enjeux de cette lointaine production, et de laisser enfin courir son feu sous-jacent. De belles pages restituent en ce sens l’« ardeur » du théâtre de Corneille, « monde de rêve » et d’excès condamné par les censeurs : l’Académie française, plongée dès sa naissance dans l’âge bête, jugea Chimène « digne d’une prostituée »
Il n’est pourtant pas dit que cette étude informée ne conforte certains préjugés. Son auteur, s’il défend la liberté de l’écrivain face aux brimades de l’ordre, tient néanmoins à marquer une distance de bon aloi avec certains « pornographes ». « Affectés d’une misogynie délirante », pas si « libérés que cela », obsédés par une religion qu’ils désespèrent de transgresser, ils « dépouillent l’homme de sa pensée et de son affectivité », rien que ça. Jugeons sur pièces. Un vers du Parnasse satirique fait état du désir de « fondre tout en sauce » dans le « con de Rose » : Jeanneret relève la « violence de la défloration » -fondre est pourtant un mot assez doux. Dans un poème de Théophile de Viau, Phyllis revient des enfers pour se glisser dans le lit de Thyrsis, et lui souffle : « Comme tu t’es vanté d’avoir foutu mon corps/ Tu te pourras vanter d’avoir foutu mon âme » : voilà, écrit encore Jeanneret, une « histoire de nécrophilie »qu’assaisonne la « flétrissure du spirituel » -pourquoi lire cette esquisse merveilleuse au prisme des perversions, et faire de la belle analogie une plate similitude ? Les textes sont ainsi parfois aplatis, et le trouble des mots vite évacué. C’est dommage, car se glisse ainsi en douce un air de hiérarchie -la mécanique des soudards vs les salons d’une courtisane « qui a du style jusque dans son lit »-, en même temps que s’éloigne la figure mystérieuse de ces écrivains, qu’occupait parfois l’art de dire des choses délicates avec des mots orduriers.

Éros rebelle
Michel Jeanneret
Seuil, 332 pages, 22
Confessions
Jean-Jacques Bouchard
Le Promeneur, 104 pages, 15

Au dix-septième ciel Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°44 , mai 2003.
LMDA PDF n°44
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