Contraint de quitter l’URSS en 1975 suite à la parution de fameux samizdats (citons La Tête de Lénine -Laffont, 1982- où un insolent décapitait la momie du Guide de la révolution et emportait son trophée sous le bras) Nicolas Bokov a ensuite mené une vie errante, faite de Très-Haut et de très bas, dont son œuvre épouse fidèlement les tours et détours avec La Conversion (Noir sur blanc, 2003) ou une fracassante rencontre avec Dieu du côté de Marburg, et Dans la rue, à Paris (Noir sur blanc, 1998), qui relate son expérience de SDF. Les huit textes rassemblés dans La Zone de réponse ne constituent pas à proprement parler le bilan de ces singulières expériences, mais plutôt une manière de marquer les stations d’un parcours très personnel, de se retourner pour voir comment des lueurs éparpillées dans l’espace et dans le temps finissent par dessiner en pointillé une lumineuse ligne de vie.
Est-ce que vous imaginez la stupéfaction du lecteur qui passerait directement de La Tête de Lénine à La Zone de réponse ?
J’imagine qu’il serait passablement troublé. Mais La Tête de Lénine, c’est au fond un livre très local, un livre de combat. Ce qui était à l’origine de ce roman a disparu et, en ce sens, on peut parler de son caractère archaïque. Quand il m’arrive de relire des textes de cette époque, je suis d’ailleurs frappé par un certain schématisme, une certaine hystérie juvénile.
Vous n’étiez pourtant plus un gamin à l’époque…
J’avais vingt-cinq ans. Le livre est paru dès 1970 en URSS, c’était mon cadeau pour le centième anniversaire de la naissance de Lénine. Tout le monde préparait des cadeaux : par exemple des saucisses qui révélaient le chiffre 100, formé avec des morceaux de lard, lorsque vous les découpiez -il fallait y penser ! C’était une époque vraiment formidable, la période soviétique, tellement drôle -si seulement elle n’avait pas été dans le même temps si cruelle.
On peut donc parler de deux périodes très distinctes dans votre vie et dans votre œuvre ?
Il s’agit d’une rupture d’un autre ordre que littéraire. De 1980 à 1996, je n’ai rien écrit ou plus exactement je n’ai rien voulu publier. Je pensais que la littérature c’était fini pour moi, je pensais devenir moine ou ermite, quelque chose dans ce genre, je croyais tenir Dieu dans le creux de ma main. Cela s’est révélé une illusion, Dieu ne tient pas dans votre main ou dans votre poche. Saint Jean de la Croix parle de la liberté de l’homme, ce n’est déjà pas si mal, mais la liberté de Dieu, c’est encore autre chose.
Comment vous êtes-vous retrouvé en France ?
Un procès se préparait contre moi, et le KGB, qui inaugurait alors une nouvelle politique, m’encourageait à partir sur un ton presque paternel : « Vous n’avez rien à foutre ici puisque vous n’aimez pas la Russie : allez donc voir le monde ! » Je risquais quatre années de prison, ce qui de l’avis général était l’idéal en la matière : une peine supérieure à sept années vous brisait un...
Entretiens Un pèlerin russe
juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45
| par
Eric Naulleau
De la place Rouge au parvis des cathédrales, les voies du Seigneur restent impénétrables pour Nicolas Bokov. Mais avec ce clochard céleste, tous les chemins mènent à "La Zone de réponse".
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