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Essais Le rescapé et les engloutis

novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48 | par Thierry Cecille

Celui qui survit écrit pour ceux n’ont pas survécu, seul il prend en charge une parole collective : il faut voir là, aussi, une entreprise littéraire.

L' Expérience concentrationnaire est-elle indicible ?

Les récits de l’expérience concentrationnaire qu’il s’agisse des camps nazis ou du Goulag sont souvent reçus et lus comme des témoignages documentaires : leur authenticité ne peut être mise en doute, ils apparaissent avant tout comme une parole rescapée, brute, plus que comme une écriture, on hésite, de ce fait, à les considérer comme des textes littéraires ajoutons que leurs auteurs eux-mêmes, parfois, refusèrent une telle approche. On peut ainsi évoquer la difficulté qu’il pouvait y avoir à étudier, quand il fut inscrit au programme de Littérature, précisément, du baccalauréat, Si c’est un homme, de Primo Levi. C’est à l’examen de cette question et le titre, alors, en fausse peut-être un peu la portée, la direction que se consacre cet essai précis et novateur, érudit et pourtant accessible. Luba Jurgenson, universitaire et romancière, traductrice du russe elle vient de mettre au point l’édition intégrale des Récits de la Kolyma de Chalamov (Verdier) tente d’élaborer de véritables catégories littéraires, de mettre au jour et d’analyser des choix formels, des outils narratifs et esthétiques propres à cette expérience spécifique, et cela par-delà aussi bien les différences entre les individualités des auteurs (essentiellement Chalamov et Soljenitsyne, Levi, Antelme, Rousset et Kertész) que les ressemblances thématiques évidentes la question de l’humanité-inhumanité, les conditions et limites de la déchéance, la résistance ou la lâcheté…
Elle élabore ainsi une théorie génétique convaincante : il existerait, pour la plupart des textes, ce qu’elle nomme un « livre zéro », conçu, élaboré, parfois écrit au moins par bribes, pendant l’expérience elle-même. Ce brouillon serait une sorte de parole initiale, que le texte écrit après la libération le « livre 1 » tenterait de retrouver. Pourtant la tache se révélerait douloureusement impossible, ne serait-ce que parce que l’identité du je n’est pas assurée : le locuteur n’est plus le personnage, le libéré n’est plus le détenu, celui qui survit n’est plus celui qui a vécu ce qui est raconté. De même il semble improbable qu’un texte formé de mots puisse rendre sensible ce que Chalamov nomme « la mémoire des muscles » : l’usage du gros plan qui tente de rendre compte de la perception par les sens ainsi pour le complexe qui relie la faim et la vue le choix du présent de narration, le resserrement temporel et spatial, une certaine intertextualité (le recours à la métaphore de L’Enfer), la recherche d’une langue comme dénudée, « langue des choses », sont quelques outils qui correspondent à la quête obstinée d’une fidélité à ce qui fut vécu. L’écrivain est également le coryphée d’un chœur de fantômes, il doit parler pour ceux qui moururent sans parler (un regret : Luba Jurgenson ne fait pas cas de l’ouvrage pourtant essentiel d’Agamben Ce qu’il reste d’Auschwitz - Rivages), sa parole doit être collective et cependant personnelle, puisqu’il ne saurait authentiquement décrire que ce dont il a fait, dans sa chair, l’expérience : il doit donc affronter également ce paradoxe et sera peut-être amené à élaborer, ultérieurement, une réflexion approfondie sur le système concentrationnaire, plus distanciée et analytique ce sera alors le « livre 2 » (ainsi, pour Levi, Naufragés et rescapés, sous-titré Quarante ans après Auschwitz). On ne saurait aborder ici tous les éléments que Luba Jurgenson analyse : elle démontre de manière passionnante que ces textes constituent ainsi un territoire essentiel une pointe avancée de la modernité littéraire.

L’Expérience concentrationnaire est-elle indicible ?
Luba Jurgenson
Éditions du Rocher
397 pages, 22

Le rescapé et les engloutis Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°48 , novembre 2003.
LMDA PDF n°48
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