Il faut encore saluer les éditions Passage du Nord/Ouest. Une nouvelle fois, un texte d’un autre âge revient à la lumière, et s’avère essentiel ; une nouvelle fois, Georges Bourgueil sait l’éclairer sans académisme ni vaine érudition. Comment donner une idée de cette flamboyante histoire, à la croisée du récit fantastique et du conte philosophique ? Disons, pour commencer, qu’un protagoniste, Franc-Gal, parcourt la terre, ou pour le dire autrement, qu’il « circuite la ronde ». Monté sur un hippopotame ailé, il raconte son passé qui remonte jusqu’au déluge en même temps qu’il prévoit « le cours de sa pérégrination » vers Orbe, cité utopique. C’est dans cette même ville qu’aboutira le deuxième personnage, son fils Alector, lequel doit être jugé pour un crime qu’il n’a pas commis : un fils merveilleux, né deux fois, écuyer aux éperons d’or parti lui-même en quête de son père.
Voilà de quoi réjouir tous les lecteurs. L’odyssée de Franc-Gal, mythique fondateur de la Gaule, piquera l’intérêt des historiens ; les lettrés, quant à eux, trouveront matière à mille comparaisons avec d’autres œuvres et d’autres auteurs plus connus de la Renaissance (la Franciade de Ronsard, l’Utopie de Thomas More, les trouvailles linguistiques de Rabelais, etc.) ; mais surtout, l’imagination de tout un chacun s’emballera. Il y a des sauvages centaures, des monstres marins, des enlèvements, des cataclysmes, une tête qui vole, un vivant qui fait l’amour avec une morte. C’est un monde qui s’ouvre, avec l’allégresse propre aux appels d’air : le temps se dilate au gré des présages et des retours en arrière, comme s’il s’agissait d’approfondir un présent devenu vaste conscience du monde ; l’espace s’offre tout entier dans des pérégrinations qui permettent de « connaître toutes les parties » de notre « maison universelle ». L’auteur paraît prôner « L’un-en-toutes-choses », les diverses traditions (juive, chrétienne, païenne ou ésotérique) s’affolant et s’articulant joyeusement.
Franc-Gal serait-il Herakles ou Noë ? Sa femme Priscaraxe, Mélusine ou Lilith ? Qu’importe : dans les pages d’Alector ou le Coq, toutes les régions de l’Être communiquent et se font écho. En 1560, il semble que l’infiniment grand et l’infiniment petit n’effraient pas encore, et que le monde, la terre et la ville peuvent se refléter et se reconnaître. Témoin le geste civilisateur de Franc-Gal, qui donne aux hommes devenus « barbarins » le goût de « la suave liqueur du vin », comme le désir de faire de « braves robes » qui laissent paraître aux femmes « le plus beau de leur humanité » leur cou. Témoin encore la scène de « vénuste délectation » qui décrit dans un érotisme enchanteur la rencontre avec Priscaraxe, « engendrée de soleil et de l’humeur terrestre par le soleil échauffée », « au ventre coquillé blanc et poli » et « à la queue serpentine ». L’écriture faite de « doux langage » est, on le voit, le joyau de l’ouvrage. Si, comme le disait Rousseau, il y a un âge de l’humanité où l’on aurait aimé demeurer, sans doute peut-on dire alors la même chose de ce moment de la langue, langue si maternelle qu’elle peut encore porter son lecteur.
Il faut toutefois quitter ces régions enchantées. Aneau, professeur de droit épris d’universalité, Aneau qui s’attaque ici avec verve et véhémence aux « arts de la fausseté et du mensonge « »idolâtrie « , » sophisterie », « médicastrie »…, Aneau qui fait le procès de la « corrupta eloquentia », fut par ailleurs soupçonné de vouloir corrompre la jeunesse. Le 5 juin 1561, on le laisse mort au milieu de la rue, après le siège du collège dont il est le principal. La ville de Lyon n’est pas la ville d’Orbe.
Alector ou le Coq
Barthélémy Aneau
Passage du Nord/Ouest
280 pages, 20 €
Histoire littéraire L’enchanteur renaissant
novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48
| par
Gilles Magniont
L’enchanteur renaissant « Joyeuseté et beauté » à foison, avec la redécouverte d’une « histoire fabuleuse » tissée par Barthélémy Aneau, il y a plus de quatre siècles.
Un livre
L’enchanteur renaissant
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°48
, novembre 2003.