Si ce n’est toi est la troisième pièce de la trilogie (après Auprès de la mer intérieure et Onze débardeurs) écrite par Edward Bond pour la Big Brum Theatre-in-Education Company basée à Birmingham. Bond poursuit là sa recherche sur le rôle « pédagogique » du théâtre. Une recherche exigeante et de plus en plus radicale.
Avec Si ce n’est toi Bond passe un palier supplémentaire dans l’inquiétude que lui inspire l’évolution de notre société. Il situe la pièce en 2077. Une révolte brutalement réprimée semble avoir laissé la place à un pouvoir très autoritaire. Le chômage, les suicides sont le lot d’une société aseptisée qui a aboli son passé. Plus beaucoup de conscience ne semble subsister chez Sara et Jams. Les seules archives qu’ils possèdent concernent la comptabilité de leurs disputes de couple, terriblement futiles, comme par exemple le fait de savoir qui le premier s’est assis sur la chaise de l’autre. Tout s’est restreint à l’intérieur d’une maison. Le monde s’est absenté. Il resurgit avec la venue d’un frère, Grit, un parfait inconnu pour les deux autres personnages. Peu à peu cependant, des lambeaux de mémoire se précisent, ouvrant des gouffres insondables.
Dans Existence, un jeune homme « ordinaire », appelé x, pénètre de nuit dans l’appartement de Tom pour le cambrioler. Les deux hommes vont s’affronter, x cherchant désespérément quoi cambrioler, comme une manière de se définir. x parle de façon hachée, inachevée. Son interlocuteur, Tom, a la langue arrachée. Aucun dialogue n’est possible. La perte de la langue conduit à la perte de la personnalité. La pièce se termine par ces mots « Yghah-hrahuh-hergh ». Bond semble nous demander quelle histoire peut encore être racontée ?
Enfin, dans Chaise, Bond replonge ses personnages en 2077. La société est extrêmement répressive, tout devient délinquance. Alice, une femme de 40 ans garde enfermé Billy, un homme de 26 ans qui passe son temps à dessiner comme un enfant. Mais Alice va être troublée par une prisonnière, gardée par un soldat. Alice descend dans la rue pour connaître les raisons de son trouble. Cette prisonnière se révèle être sa mère, mais là encore, la mémoire semble difficile à éveiller. La suite est une succession logique d’événements implacables qui conduisent à la mort.
Bond montre une société de plus en plus répressive, traitant la majorité de ses membres comme de la racaille. Une racaille qui a du mal à se révolter. Le suicide ou la mort semblent être les seules échappatoires. C’est comme si la violence précédente des pièces de Bond avait fait place au sentiment irrémédiable de la perte, perte de notre humanité, perte de la mémoire, perte du sentiment d’appartenance à une communauté humaine. Les personnages sont enfermés dans leurs maisons, la conscience s’assombrit, la folie est de plus en plus solitaire. George Orwell a écrit 1984, Bond nous accorde quelques années de sursis, mais la question reste posée : quel futur sommes-nous en train de préparer ?...
Dossier
Edward Bond
Cherche futur
janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49
| par
Laurence Cazaux
Un auteur
Un livre