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Poches Le critique impeccable

janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49 | par Gilles Magniont

Rivages réédite les Chroniques où Manchette disséquait le genre policier. Tant de sagacité, de drôlerie et de vertu rend nostalgique.

En panne de roman, Manchette disserte pour la presse, de la fin des années 70 jusqu’à sa mort en 1995, principalement chez Charlie Mensuel puis de loin en loin dans la revue Polar. Il s’agissait apparemment de faire la critique des romans policiers qui étaient alors publiés ou réédités. Mais cette tâche innocente rendre compte du marché, l’apprenti journaliste va vite s’en affranchir, au profit d’ambitions plus didactiques et polémiques. « Veuillez croire que j’ai aimé autant qu’un autre la légèreté du polar. Quand je laisse voir ma culture, et que je prends des manières de pion, j’y suis contraint. Faut-il le répéter encore ? Nous avions tous le pur plaisir de distraction, quand nous lisions des polars dans un train, ou bien « pour s’endormir ». Nous nous étions placés loin des misérables volumes qui suscitaient l’enthousiasme pavlovien des chroniqueurs. Mais notre genre a été saisi par le marché, donc par le commentaire. S’enfouir, c’est la politique de l’autruche. Nous devons tolérer que le polar soit à présent disséqué et loué par des universitaires et des journalistes. Nous devons, me semble-t-il, manifester à ces gens que nous en savons aussi long qu’eux, et même davantage. » Ce à quoi il va s’employer, notamment en appuyant ses critiques sur une vision historiciste du genre. Le « roman noir », roman violent et réaliste qui connaît son heure faste dans les décennies 1920-1950, ce roman-là est né de la contre-révolution : c’est précisément au moment où l’ordre est restauré, une fois les grèves des ouvriers américains matées dans le sang, qu’Hammett et Chandler conçoivent leurs œuvres. Quels en sont les héros ? Des « privés », c’est-à-dire des hommes dont l’action est à la fois individuelle et désespérée, puisque les combats collectifs ont tous mordu la poussière. Le privé « peut bien redresser quelques torts, il ne redressera pas le tort général de ce monde, et il le sait, d’où son amertume ». D’où, aussi, l’art paradoxal des pères fondateurs : chez Hammett, « le texte, par méfiance et par désespoir, est épuré systématiquement de toute fioriture, de toute figure, de tout flottement poétique du sens, jusqu’à devenir le contraire d’un objet d’art, un os humain ». Écriture de la désillusion d’une « platitude sauvage », écriture descriptive et non moralisante dont Flaubert avait montré la voie.
Ainsi le roman noir s’impose-t-il comme la « grande littérature morale » du XXe siècle. Ainsi doit-il être soigneusement distingué du récit policier classique : là où Hercule Poirot se félicite de mettre hors d’état de nuire tel ou tel criminel, Philip Marlowe saisit que c’est le crime lui-même qui est organisé. Le mal n’est donc pas lié à la nature humaine, il est social et politique, il est le fait d’une organisation transitoire la société capitaliste. Voilà ce que ne cesse de dire le polar, et Manchette, qu’on sent à chaque page avide d’emboucher sa trompette hégéliano-marxiste. Il faut dire que cette analyse a pour elle de baliser tout le paysage : elle permet de donner à comprendre l’émergence du genre, comme d’en stigmatiser les prolongements. C’est sans doute là qu’on jubile le plus, tant les Chroniques excellent dans l’art d’administrer des gifles. Il y a les collègues qui se soucient comme d’une guigne du rapport à l’Histoire, pour s’adonner plus pleinement à la religion et au plaisir du Texte ; ils œuvrent « dans l’art » et la référence, veulent « libérer » la littérature policière de ses carcans, font alors assaut de « malice » : voici venu le temps des « exercices de style (…) privés définitivement de nécessité, (qui) vont s’aligner docilement, les uns à côté des autres, sur le présentoir de l’égalité culturelle, c’est-à-dire de l’insignifiance ». Et puis, à l’autre bout de la Planète Polar, il y a les militants déclarés, ceux pour qui l’Histoire est tout et le Texte rien ; peu leur chaut les moyens, la fin et la gauche est trop belle. Prenons l’exemple de Frédéric Fajardie, et de son style « stalino-gluant ». Il a dressé ailleurs l’apologie de Manchette le romancier ; il pourrait donc mettre le critique dans l’embarras. « Serai-je assez salaud, après ça, pour dire que Fajardie écrit comme un cochon ? Placerai-je l’amour de la langue au-dessus de la camaraderie de métier ? Eh ! oui »
On n’est pas sûr que cette hiérarchie prévale toujours. On se demande s’il est aujourd’hui possible que des articles aussi pointus figurent dans un magazine de bande dessinée. On soupçonne que la littérature policière du temps, en variant ses figures (privé homosexuel, enquête moyenâgeuse) ou en beuglant ses engagements (les affaires du Poulpe), a encore accru sa déréliction. On se demande si la promotion grandissante du genre, de gros dictionnaires en festivals, correspond encore à « l’indistincte liberté des marchands » et à la « libre concurrence du futile ». On se dit que l’époque n’est pas très belle, et la disparition de Manchette infiniment regrettable.

Chroniques, de Jean-Patrick Manchette
Rivages/Noir, 443 pages, 9,50

Le critique impeccable Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°49 , janvier 2004.
LMDA PDF n°49
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