Virage à cent quatre-vingts degrés pour Thierry Beinstingel qui, avec Paysage et portrait en pied-de-poule, quitte le monde du travail, ses intérimaires et ses rapports évoqués dans Central et Composants pour se mettre au vert, à la campagne. Si l’univers change, la jouissance du style demeure, tout comme la recherche sur la forme. Au départ, une veste pied-de-poule, portée par un « type entre deux âges », « fils de paysan modeste » « encolure élargie en deux équerres ». Pour lui, le temps s’est comme arrêté dans ce petit village, figé sur un « lundi matin, mies de pain déjetées, un bol, un couteau, le beurre sur la table, tout ce que la vieille mère noire prépare vers cinq heures trente avant de se recoucher ». Parce que rien ne vient perturber le flux de ses pensées, l’homme s’attache au moindre détail de sa vie réglée : le café du coin, le bal monté, les virages d’une route cahoteuse qu’il emprunte à bord de son tracteur. Le vide apparent laisse alors la place à une richesse insoupçonnée : l’acuité du regard sur le paysage appelle souvenirs, petites et grandes histoires. Les dessins de la veste pied-de-poule miment son cheminement, tout comme, à un autre niveau, l’enchaînement des chapitres, des phrases et des mots dans les phrases. Les très nombreuses énumérations quittent l’austérité de la liste pour devenir farandoles de sens : « croisillons blancs, crucifix noirs, pattes velues du tissu, étirements d’araignées sombres, de mouches claires à vinaigres ». L’homme habillé de mots rompt ainsi avec sa solitude, essaie de faire « tourner le monde à son avantage », histoire de ponctuer, comme ses pairs, par un « on a bien vécu, allez ! », de bon aloi.
Paysage et portrait en pied-de-poule
de Thierry Beinstingel
Fayard, 182 pages, 15 €
Domaine français Farandole littéraire
février 2004 | Le Matricule des Anges n°50
| par
Franck Mannoni
Un livre
Farandole littéraire
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°50
, février 2004.