Les deux premiers titres de Laurence Teper éditions arrivent en librairie ce mois-ci : Côté ombre de l’Autrichien Franz Innerhofer (1944-2002) et Voyage à Paris et à Londres des Italiens Pietro et Alessandro Verri. Si le premier est le douloureux récit d’un « péquenaud qui veut se faire forgeron » dans le seul pays « où les héros de guerre allemands (…) avaient le droit de rire et de parler », le second est une plongée dans l’Europe des Lumières. « Fondamentalement, dans mes goûts, je suis très classique », explique d’emblée la jeune éditrice qui cite Rousseau, Flaubert, Bernhard… jusqu’au choix de son enseigne. « Les grands-parents de mon mari étaient imprimeurs en Russie. J’avais envie que ce nom-là soit présent… »
Née en 1963, Laurence Teper n’est pas « une littéraire évaporée ». Après des études très sérieuses (classes prépas, licence de philo, Sciences-Po Paris), elle se destinait à l’ENA. Violent coup de volant : elle atterrit finalement en stage chez Nathan. Dès 1988, elle occupe des fonctions de gestion avant de rejoindre l’éditorial et devenir en 1992 directrice-adjoint du département primaire. « J’avais un problème de légitimité. Je faisais des manuels scolaires alors que je n’avais jamais enseigné. » Nouveau départ : elle passe le Capes en 97, obtient l’agrégation, et entre-temps enseigne le français dans un collège du Val-d’Oise, jusqu’en juin dernier. Fin de l’aventure en ZEP. « L’édition me manquait. La création de ma maison est la synthèse de toutes mes expériences. J’ai deux passions : la transmission du savoir et la littérature. » Résurgence donc d’un « vieux rêve » et passage à l’acte. Grâce à un capital de 40 000 €, elle fonde une SARL en juillet. Et travaille avec méthode. Avant de se lancer dans le grand bain, elle contacte des éditeurs, présente son projet à une vingtaine de libraires parisiens, prend des cours particuliers de mise en page, choisit une graphiste, obtient les faveurs d’un diffuseur (Diff.Edit) « grâce en partie à Hervé de La Martinière que j’avais connu chez Nathan ». En septembre, elle a même ouvert un site internet. « J’ai une démarche de gérante de société tout en privilégiant le système D. » Le projet se concrétise.
Aux deux nouveautés de ce mois (tirées à 1800 et 1400 exemplaires), l’éditrice publiera ensuite un recueil de contes d’un jeune auteur, Christophe Hardy, puis les actes d’un colloque consacré à Nerval, Clartés d’Orient. L’exercice 2004 sera bouclé avec en automne un long poème narratif de Michèle Desbordes sur Hölderlin et une anthologie des poèmes fluviaux du même Hölderlin. Très modestement, Laurence Teper n’avoue aucune ligne éditoriale particulière : « Uniquement publier ce que j’aime ». Plus précisément ? « Soit des choses très écrites où la langue est fondamentale, soit des livres qui m’écrasent littéralement. Je n’aime pas la légèreté, cette métaphore de »la petite musique« dont parle si souvent la presse ». Et d’illuster son propos avec un livre qui l’a fait « rêver » : la biographie de Musil par Karl Corino parue l’an dernier outre-Rhin (3000 pages !) Côté domaine français, elle serait fière de pouvoir publier Jean-Paul Goux. « Je suis enthousiaste, têtue, j’aime prendre mes désirs pour des réalités. »
Laurence Teper éditions 108, avenue Félix-Faure 75015 Paris rens. 01.44.26.08.38. ou www.editionslaurenceteper.com
Vie littéraire Le grand saut
mars 2004 | Le Matricule des Anges n°51
| par
Philippe Savary
Après huit années chez Nathan et six à enseigner, Laurence Teper crée sa maison d’édition. Un programme à l’accent germanique.
Un éditeur
Le grand saut
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°51
, mars 2004.