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Domaine étranger Noir paradis

mars 2004 | Le Matricule des Anges n°51 | par Benoît Broyart

Descente aux enfers à New York pour un jeune Colombien clandestin. Un roman plein d’humanité de Jorge Franco qui coupe le souffle et atteint le cœur.

Si la littérature mène parfois la vie dure à la réalité, l’univers romanesque de Jorge Franco prend le chemin inverse pour toucher la vérité de vies confrontées à une réalité infiniment dure et hostile, celle de la Colombie, celle des Colombiens. Ici, le meurtre, la violence et la drogue deviennent des éléments du récit et participent de sa structure. Au fond, c’est un peu comme s’ils rythmaient le roman, y posaient des repères, finissant par se rendre indispensables à la progression du texte. On pourrait dire que le malheur fait partie du décor, même si cette calamité n’est en rien une spécialité nationale. « J’aurais voulu lui dire que l’infamie n’était pas une exclusivité colombienne, que tous les êtres humains, sans exception, nous sommes infâmes et que c’est pour cela que nous sommes irrémédiablement perdus. »
Avec cette obscurité, on en viendra facilement à considérer les deux textes traduits de Jorge Franco (né à Medellin en 1962), comme des romans noirs. Mais finalement, si une couleur devait prendre le dessus, c’est plutôt le rouge qui l’emporterait. À commencer par le rouge de la vie, celui du cœur de l’homme ; et en finissant par le rouge qui sort de la veine après le coup de feu.
Comment sortir du trou ? Comment s’en sortir vivant ? De la même façon que La Fille aux ciseaux déroulait la logique implacable d’un genre de malédiction colombienne qui fait des habitants de ce pays des parias, Paraíso travel fait un triste constat : « Il voulait dire parmi nous, les parias du monde, ceux qui ont les cheveux et les yeux de la même teinte sombre, qui ne sommes pas plus hauts qu’un frigo, les descendants directs du singe, avec des nez aplatis et de grosses lèvres. Pour Roger Pena, le monde semblait divisé entre être humains et Colombiens. »
Paraíso travel est surtout un roman vital parce qu’il est à la fois âpre et urgent, parcouru par un souffle aussi vivant que douloureux. « J’ai eu un vertige et je suis tombé mais elle m’a relevé d’un geste, elle a passé son bras autour de ma taille et elle a soutenu mes épaules de l’autre pour empêcher mon squelette de tomber en morceaux. » Chez Jorge Franco, les hommes n’en finissent pas de s’écrouler et de se relever. C’est le seul mouvement qui leur permet d’échapper à la mort, de bénéficier d’un sursis. Oui mais pour combien de temps ?
Marlon, un jeune Colombien clandestin, arrive à New York avec sa petite amie. Il s’est laissé convaincre par cette dernière de la nécessité de quitter leur pays d’origine. Le bonheur leur sourira dès leur arrivée aux États-Unis. Après un malentendu qui tourne au drame, Marlon doit fuir. Il se met à courir et finit par se perdre dans une cité qu’il ne connaît pas. Suivent la chute et une relative rédemption dans cette ville américaine lisse et agressive qui laisse un grand nombre d’êtres humains sur ses trottoirs. « J’avais juste l’impression de m’être endormi à un moment, peut-être dans la rue, de cela, oui, je me souviens. Et aussi du froid, du vomi, de la faim, de la sensation d’être perdu, mais là c’était quand j’avais encore toute ma tête, jusqu’à ce que je m’endorme et que tout devienne une nuit interminable, délirante, sans mémoire… »
Marlon passe d’une misère presque familière à un univers beaucoup moins franc, avec une seule certitude, celle qu’il n’y trouvera pas sa place et qu’il s’y égarera forcément. À New York, il découvre le même niveau d’horreur qu’en Colombie, mais le pire ici, est peut-être ce sentiment de s’être perdu lui-même, d’avoir subi une terrible dépossession. « Devant moi se dressait celui que je n’ai pas été cette fois, mais qui commençait à l’être à partir de cet après-midi-là, quelqu’un d’aussi différent de moi que possible, jamais avant ni après je n’ai revu quelqu’un d’aussi différent de moi dans le reflet de la glace. Et si nous n’avions pas tous les deux bougé la tête de façon synchronisée, et si nous ne nous étions pas touchés pour nous reconnaître, ou si tous les deux n’avions pas eu ce même air de panique, j’aurais cru que quelqu’un derrière le miroir était en train de se moquer de moi. »
La singularité du traitement temporel est également une des grandes forces de Jorge Franco. En effet, les couches du temps sont agencées chez l’écrivain avec une science et une élégance rares. On avance avant d’être brusquement projeté en arrière. Les sentiments de Marlon sont livrés au compte-gouttes, son parcours décrypté au fur et à mesure. D’où l’apparition d’une forte dépendance, chez le lecteur. Le voyage de la Colombie aux États-Unis ne sera pas livré, par exemple, au début du roman. Aussi, lorsque ce passage surgira enfin dans le récit, il se sera gorgé de toutes les souffrances de Marlon. Les douleurs du présent auront nourri celles du passé.
Très souvent, en lisant Jorge Franco, on pense au magnifique film du Mexicain Alejandro González Inárritu, Amours chiennes, à l’éclatement de la narration qui se montre, finalement, comme le symptôme flagrant de vies en lambeaux. Alors on s’étonne peu lorsqu’on apprend que Jorge Franco a suivi des études de cinéma, ni lorsqu’on lit que La Fille aux ciseaux, dont la première édition a été épuisée en un week-end en Colombie, est en cours d’adaptation cinématographique.

Paraíso travel
Jorge Franco
Traduit de l’espagnol (Colombie) par René Solis
Métailié, 238 pages, 10

Noir paradis Par Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°51 , mars 2004.