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Domaine étranger Dernier fait d’armes

mars 2004 | Le Matricule des Anges n°51 | par Thierry Guinhut

Sous couvert de chevalerie, le roman posthume de Montalbán est une polyphonie désenchantée. Un livre satirique et émouvant.

À certains égards, le dernier roman de Montalbán sonne comme une œuvre testamentaire. Le maître, essayiste, gastronome, intellectuel émérite, dont l’icône du polar postmoderne, le truculent détective Pepe Carvalho, brûle parfois les livres, est mort à Bangkok le 18 octobre 2003. Ses deux personnages principaux, Julio Matasanz, médiéviste et professeur illustre, son épouse Madrona, abordant l’ultime plage de la vie, voient se lever les écueils de la vieillesse, de l’impuissance et de la mort.
Malgré les honneurs, le Viagra et l’argent, l’inquiétude travaille le couple. Lors d’un congrès, le spécialiste des romans médiévaux donne une conférence sur Erec et Enide devant ses pairs et la presse, à l’occasion du Prix Charlemagne qui flatte son ego et solennise son départ à la retraite. Son érudition, sa réussite flamboyante, le télégramme de félicitations du Roi le rassurent, et l’on sent bien que la critique littéraire et le monde de la chevalerie sont pour lui un refuge narcissique, un idéal en même temps que le moyen d’une ambition, d’une volonté de puissance sociale. Son engagement politique modeste (vingt-quatre heures dans une prison franquiste) n’est dû qu’au hasard, et il a su s’en servir avec la discrétion requise. Cependant, à l’orée de la vieillesse, l’éloignement définitif de sa collègue et maîtresse Myrna, « le doute », sinon « la dépression », lui font réaliser qu’il est peut-être passé à côté de certaines valeurs de la vie, qu’il est peut-être encore temps de dire à ses proches qu’il les aime. Sa femme, malgré la sécurité de son univers, son caviar et ses propriétés catalanes, voit peu à peu se fêler les apparences. Soudain, une grave leucémie la menace. Parviendra-t-elle à faire revenir son neveu, Pedro et sa femme Myriam, médecin et infirmière volontaires d’une Amérique centrale heurtée par la guerre civile, pour un dernier Noël heureux et partagé ?
Un trio en quelque sorte musical alterne les parties dans lesquelles Montalbán sait parfaitement caractériser les genres et les personnages : l’auto-éloge bourré d’allusions cultivées pour Julio dont nous lisons la conférence, le récit psychologique et introspectif pour Madrona et le récit épique pour Pedro et Myriam. Épique non moins teinté d’ironie, car en ce chaos de combats, d’assassinats, d’exactions et d’évasion rocambolesque, de militaires sadiques et de faux médecins, la noblesse et la poésie ne règnent pas comme dans le roman de Chrétien de Troyes. Malgré « le triptyque de sang et de larmes », aucune transcendance religieuse ne peut venir à leur secours. Seule la littérature leur assure une image, un sens, ce pourquoi nous lisons encore Chrétien de Troyes et nous lirons peut-être longtemps ce livre de Montalbán : « La culture étant une fois de plus appelée à recouvrir les horreurs de la vie et de l’histoire pour en devenir la métaphore ». Au passage, Julio, et Montalbán avec lui, jette un coup de griffe aux universitaires : « Nous ne jugeons même pas la littérature en fonction de sa capacité d’intervention ou d’explication du monde d’aujourd’hui ». Cette capacité, notre auteur la revendique pourtant. Et, autant grâce à la mise en abyme du texte médiéval que par son propre roman, il réussit son pari.
Polygraphe impénitent une cinquantaine de volumes traduits Montalbán est un auteur admiré en Espagne, et parfois controversé. Il commit un tour de force impressionnant en écrivant Moi, Franco, chef-d’œuvre de cynisme, de vanité et d’auto-dérision narrant à la première personne le dictateur fasciste. Mais en portraiturant l’icône ouvrière et communiste espagnole, il ne réussit à offrir de La Pasionaria qu’une bondieuserie saint-sulpicienne. Son communisme militant lui fit perdre un moment ses talents d’iconoclaste et l’adhésion de quelques-uns de ses lecteurs… Avec Erec et Enide, il a réussi à nous léguer son roman le plus humain, le plus émouvant.

Erec et Enide
Manuel Vásquez Montalbán
Traduit de l’espagnol
par François Maspero
Le Seuil
288 pages, 20

Dernier fait d’armes Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°51 , mars 2004.