Ex-officier de marine, le philosophe Michel Serres l’évoqua à plus d’un titre. Le passage du Nord-Ouest, qui fait communiquer l’Océan atlantique et le Pacifique, est un lieu de glace sans cesse en mouvement semé d’embûches. Filons la métaphore. La traversée s’apparente à une aventure au long cours où le désir de découverte réclame quelque qualité : de la patience, une bonne résistance ainsi que le goût pour le travail d’équipe. C’est animées par cet état d’esprit que les éditions Passage du Nord-Ouest ont construit leur catalogue depuis maintenant deux ans. Partie non pas de l’Arctique canadien mais de Paris, l’improbable embarcation, conduite par Ingrid Pelletier, 33 ans, Pierre-Olivier Sanchez, 35 ans, et Georges Bourgeuil, 40 ans, vadrouille avec audace dans les belles eaux des littératures hispanique, lusophone et renaissante sous la forme de deux collections : « Traductions contemporaines » et « Les Muses inconnues ». Autrement dit des courants éditoriaux peu fréquentés par les pétroliers de la grande industrie ; parce qu’ici, par-dessus tout, on aime le grand air, le plaisir de la langue, ce qui remue, porté par l’allégresse et l’imagination.
L’histoire et le destin de l’équipage se jouent en l’an 2000. Premier acte. Lassés par leur travail de libraires, Ingrid et Georges quittent L’Écume des pages avec deux projets dans leur valise : Le Parnasse des poètes satyriques (sur lequel Georges planche) et un livre-culte au Portugal Ce que dit Molero de Dinis Machado (200 000 exemplaires vendus) qu’Ingrid a découvert lors d’un séjour à Lisbonne. « J’en étais folle de ce livre publié en 1977. Il fallait le traduire. »
Deuxième acte. Après dix années de marine (« j’avais besoin de liberté ») et 250 jours de mer par an, Pierre-Olivier, originaire de Nancy, pose le pied à terre. Le second maître aura connu l’Adriatique pendant le conflit yougoslave, la guerre entre l’Erythrée et l’Éthiopie vue de Djibouti, le Golfe persique, la Mer Noire. « Officiellement, je m’occupais des transmissions ; officieusement, j’étais bibliothécaire. Les bouquins étaient mes meilleurs copains. » Il cite Beckett et Sarraute, la littérature fin-de-siècle, Larbaud et Cendrars. Une décennie d’embarquements lui aura laissé le temps de réfléchir. Par chance, l’armée est prête à financer sa reconversion. Il tente alors une école de libraires à Épernay puis une école de correcteurs à Paris. Sans succès.
Troisième acte. En octobre, Pierre-Olivier rejoint le Cecofop de Nantes, où sont enseignés les métiers du livre l’apprentissage se termine par l’édition d’ouvrages à l’enseigne du Passeur. Ingrid a eu la même idée. C’est l’année consacrée à l’Espagne. La formation débute ainsi : « Apportez-nous un texte ». Ils travailleront tous les deux sur un recueil de poèmes de Rafael Alberti, apprendront la mise en page, la correction, le droit, etc. « Ce fut une formation décisive et inoubliable », disent-ils en évoquant les cours, l’ambiance, et au souvenir des...
Éditeur Le voyage vertical
avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52
| par
Philippe Savary
Un éditeur