Ne désespérons point : des critiques littéraires attentifs existent de par le monde. La méconnaissance apparente qui semble affecter la littérature française aux États-Unis et en Angleterre trouve réparation avec la publication de l’ouvrage volumineux de l’Américain John Taylor. Intitulé Paths to contemporany french literature, ce livre d’essais prépubliés dans le supplément littéraire du Times et dans des revues américaines s’impose comme une somme rêvée pour une découverte de la littérature contemporaine française. Affichant en couverture les noms de Duras, Cixous, Jaccottet, Michaux, Sarraute, Bonnefoy, Jabès, Gracq, Perec, Réda, Cingria, Simon, Jouve, Redonnet, Calaferte, Cohen, Follain, Perros, Fargue and others…, cette publication comporte aussi des études sur Pierre Autin-Grenier, Pierre Michon, André Hardellet, Pierre Guyotat ou Claude Esteban… Ce livre « est une façon de mettre en relief un certain nombre de thèmes récurrents, en dépit de l’apparente diversité de la littérature française actuelle, explique John Taylor. L’essai sur Jacques Réda, se trouve dans le premier chapitre (consacré à « L’Art de la Promenade », ndlr), mais cet écrivain explore également la question de la subjectivité. Réda aurait pu aussi bien se trouver dans le dernier chapitre, qui regroupe des écrivains et poètes comme Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet ou Pierre-Albert Jourdan qui, chacun à leur façon, touche à la métaphysique, au questionnement du soi et du dépassement du soi. »
Qu’il s’agisse de Pierre Bergounioux ou Jude Stéfan, de Gérard Macé ou Silvia Baron Supervielle, de Marcel Cohen ou Lorand Gaspar, les essais de John Taylor montrent et analysent « l’originalité et la profondeur des écrivains français par rapport à toute la question de l’autobiographie, qui est centrale selon moi dans cette littérature. »
John Taylor ne cache pas qu’il a toujours été attiré par la littérature européenne. C’est pour elle qu’il est venu en Europe, en s’installant d’abord en Allemagne, puis en Grèce, et enfin en France, près d’Amiens : « un exil choisi en quelque sorte ». En tant qu’écrivain*, il reconnaît avoir beaucoup appris de la littérature française ; en tant que critique, il souhaite « faire partie de ceux qui montrent le chemin devant parfois le débroussailler qui mène aux auteurs dont l’œuvre est essentielle et que les modes ou les engouements éphémères peuvent négliger. »
Devant son approche critique, on est tenté bien sûr de voir si des définitions, des courants, des particularités sont décelables ne serait-ce qu’entre prose et poésie… « À vrai dire, je ne fais pas de grande différence entre poètes et écrivains. Ce qui m’intéresse, c’est le travail du style, l’authenticité de la recherche entreprise, et bien sûr la vision de la vie qui se dégage d’une œuvre. Il est parfois fort difficile d’expliquer aux États-Unis l’intérêt et l’originalité de cette prose française « entre les genres ». De nombreux éditeurs, critiques ou écrivains restent encore prisonniers de la tenace distinction classique (anglo-saxonne) entre fiction et non-fiction, entre roman et nouvelle, sans parler de la distinction pour eux, rigide entre prose et poésie. C’est l’un des obstacles qui empêchent un certain genre de littérature française d’être apprécié et plus largement traduit aux États-Unis. »
À part une curiosité naturelle qui le dirige instinctivement vers le peu connu, le trop peu reconnu, l’intime, John Taylor procède parfois par filiations. Cela l’aide à découvrir des auteurs que d’autres critiques littéraires ont parfois négligés. « Je suis toujours à l’écoute quand un écrivain ou un poète exprime sa reconnaissance pour l’un de ses pairs. Par exemple, j’ai découvert la remarquable poésie de Jean-Philippe Salabreuil parce que Jude Stéfan en a parlé dans ses propres notes critiques. Quelques mots écrits par Hubert Haddad m’ont mis sur la piste de Michel Fardoulis-Lagrange. Les articles rigoureux et profonds de Philippe Jaccottet dans Une transaction secrète et L’Entretien des muses sont exemplaires à cet égard ; ils m’ont introduit dans l’œuvre de nombreux autres poètes. Pour moi, la véritable histoire littéraire d’un pays se développe ainsi : elle n’est pas une suite, chronologiquement linéaire, de mouvements littéraires, mais bien plutôt un vaste réseau composé de généalogies et préférences entremêlées. C’est pourquoi l’inactualité littéraire est aussi importante, aussi vitale, que l’actualité littéraire. »
Comme beaucoup, John Taylor s’avoue souvent frustré par la critique pratiquée dans la presse nationale : « une critique devenue trop souvent hâtive, bavarde, arriviste, prévisible, c’est-à-dire insuffisamment indépendante, exploratrice. » Pas de solution selon lui sinon le désir de continuer à réfléchir « sur l’éthique et la pratique de ce métier, de garder la tête froide et l’esprit ouvert, de chercher, de creuser, de rester aux aguets pour le passage de l’authentique. »
Paths to contemporany french literature est publié par Translation publishers (356 pages, 55,50 €). Disponible dans les librairies anglaises de Paris ou sur www.transactionpub.com
*Quatre des livres de John Taylor ont été traduits en français aux éditions de l’Aube, Isoète et Dumerchez.
Vie littéraire La french literature
mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53
| par
Marc Blanchet
Critique littéraire au « Times », John Taylor, écrivain vivant en France, publie une somme en anglais sur la littérature française contemporaine. Un passeur précieux, à l’écart des modes.
La french literature
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°53
, mai 2004.