Le troisième livre de poésie d’Olivier Barbarant (né en 1966) est composé de quatre parties. Quatre parties dessinant une sorte de (dernier) carré de résistance face au vent, qui symbolise ici toutes les forces de dislocation. Un espace émotionnel particulièrement poreux à tout ce qui ébranle. Mais, sous les gestes de la vie, contresignant comme la vérité d’un rapport au monde, c’est l’instable et l’irisé qui palpitent surtout, tant « Tremble dans chaque transparence une promesse de tombeau ». Entre des silences qui battent et le malheur du monde chaque jour « à la Une », c’est au présent de la sensation que se conjuguent désillusions ou désenchantement.
À travers le prisme d’un moi se dévoilant avec juste ce qu’il faut d’impudeur et de réserve, et à l’ombre d’œuvres comme celles d’Anna Akhmatova, de Théophile de Viau (qui vécut « dans un siècle que son chaos fait cousin de notre ère » et pour qui « le poème ne vaut jamais que par l’aisance de/ la voix ») ou de Soutine, dont la peinture semble gifler le monde pour mieux le donner à voir, Olivier Barbarant fait entendre la singularité d’une voix se cherchant entre complainte et élégie, exactitude et urgence. Tout se passe comme si, confronté à la brutalité du monde et à l’effondrement des châteaux de sable de ses espérances (« Je n’ai pas loin de là les cheveux blancs et déjà je suis las/ Des batailles recommencées/ Fatigué d’avoir vu tant de fois depuis la première jeunesse l’époque toujours verser au fossé/ À nos mains la boussole indiquant chaque fois le naufrage et nul moyen pourtant de rien réorienter/ Parce que l’époque est un mur et qu’on y sacrifie ses ongles/ Pour le seul gain d’y croire inscrite l’esquisse d’une protestation ») comme si, donc, il était conduit à redoubler d’attention, à espérer encore, et contre toute évidence, le miracle d’un surgissement du chant, un peu à l’image de l’oranger du poème liminaire, dont la rayonnante mais éphémère floraison, aura, ne serait-ce que l’espace d’un instant, « décoré l’horreur ».
Une poésie amarrée à la vie, ouverte au quotidien, portée par un vers très libre qui serait tombé dans la prose, et par une voix modulant différentes intensités de présence jusqu’au cœur de l’écriture. D’où, peut-être, cette notion d’Essais, qui semble faire écho à quelque chose comme une aventure de la voix, c’est-à-dire à diverses formes de cheminement vers ce qu’on ne connaît pas encore et que l’écriture du poème nous conduirait à deviner à travers ce qu’il peut modifier de notre regard ou de nos façons de sentir ou de réagir.
Changer de voix pour construire les conditions d’un nouvel élan, dans un contexte où la langue justement, est plus que démembrée « Ses os rompus la langue brisée fait miroir à une époque/ désastrée », et souvent plutôt vomie que prononcée : « Putain t’es où je suis vénère je te dis pas/ Et si vraiment on ne dit pas qu’à la fin de grâce on se taise/ Qu’une minute ou même moins resplendissent au-dessus des têtes vidées/ Le silence et son bleu limpide ».
Mais comment reconquérir un rapport de plain-pied avec le monde ? Comment retrouver un peu de sa virginité perdue, un peu de la légèreté et de la grâce du bonheur d’être ? En s’inspirant, peut-être, de ce qui émeut le tout jeune enfant découvrant la naissance du chant, « âme à l’aurore » sachant alors « que le soleil neige à ses lèvres ».
Essais de voix malgré le vent
Olivier Barbarant
Champ Vallon
144 pages, 13 €
Poésie La danse du deuil
mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53
| par
Richard Blin
Jeter des mots sur ce qui déchire, confesser son désarroi mais sans renoncer au chant. Le pari réussi d’Olivier Barbarant.
Un livre
La danse du deuil
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°53
, mai 2004.