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Domaine français Contre-courant

septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56 | par Camille Decisier

Une mission part évangéliser dans les glaces de l’ancienne Islande quelques païens dégénérés. Un récit élégant et très inhumain.

Il est des fanges dans lesquelles on aime fouir à plein museau. Mais l’obscénité dont il est question ici n’a pas la mal odeur des confessions bâclées, ni les relents humides et tièdes de ce que l’on appelle parfois voyeurisme. Celle que dépeint Bernard du Boucheron, avec un talent démodé et beaucoup d’élégance, c’est la crasse humaine, celle qui traversant les époques nous ramène aux bords du monde, aux confins géographiques d’un temps qui nous est proche surtout par sa fétidité.
Au nord du monde, la Nouvelle Thulé. Un océan de glace dure et immobile sous un ciel indifférent. Prise en tenailles quelque part dans ce grand blanc, une peuplade anciennement chrétienne survit de façon primitive, errant sur la banquise à la recherche de lard de phoque, de mottes de tourbe et de corps chauds dans lesquels enfoncer son âme, son sexe. Quelque part en Europe, cultivant la commisération et le prosélytisme, un cardinal ordonne une mission évangélisatrice afin de ranimer la foi de ces peuples païens. La réussite de cette entreprise passe en premier lieu par Court Serpent ; construit selon un art ancestral, les performances de ce navire reposent sur sa rapidité plus que sur sa robustesse. Foin des matériaux nobles privilégiés par les armateurs allemands : Court Serpent se veut à l’image de la charité chrétienne telle que l’entend l’époque. Il emporte au hasard des mers un équipage convaincu du bien-fondé de sa mission vers une horreur qu’il est incapable de concevoir.
Au terme d’un périple dangereux qui leur enseigne les rudiments de la cruauté, l’abbé Montanus et ses hommes atteignent les rivages de Nouvelle Thulé. D’abord spectateurs de l’infâme, ils succomberont peu à peu à la crasse à outrance, à l’anthropophagie, aux incestes et dégénérescences en tous genres, aux famines, loups, prisons de glace, hivers affamants et printemps sans espoir, morts subites, autant qu’à l’échec d’une utopie civilisatrice que la réalité, sans trêve, écorne et rabougrit.
Le message de vérité et de lumière que Montanus s’était imaginé colporter jusqu’à ces fjords oubliés ne résiste pas longtemps à des usages qui le rognent comme vermine sur charogne. Sa perdition est entière, épouvantable et savoureuse. Ses idéaux rédempteurs sombrent progressivement face au magnétisme de la sordidité, de la corruption, de la bestialité, jusqu’au plaisir ambigu, christique peut-être, de se sentir lui-même se désagréger, jusqu’à une sorte de désincarnation, jusqu’à la satiété dans l’abominable, jusqu’au retour en terre papale, repu, transformé. « Je ne pouvais oublier ce que nous avions respiré des fumées de ce massacre, les excréments encore tièdes sortis des entrailles relâchées, le sang jailli jusqu’au grenier (…), épouvantables vêpres qui nous étaient réservées en guise d’accueil par cette chrétienté perdue que nous étions venus secourir au bout du monde. »
Le premier roman de Bernard du Boucheron s’étire sur plusieurs dimensions ; en largeur, par cette épopée sans fin vers l’extrémité du monde ; en profondeur, jusqu’à la lie supposée de la civilisation telle que l’Occident l’envisage, jusqu’aux sexes chauds et gorgés de pus sous les couches de cuirs que les femmes de ce pays assouplissent entre leurs mâchoires édentées.
Il est des livres qu’on lit comme à contre-courant. Celui-ci a la saveur et la cruauté des contes pour enfants, avec le souvenir desquels il faut apprendre à grandir. Les enfants de Nouvelle Thulé, qui « se multiplient comme des cailloux avant de mourir de froid », jouent dans les entrailles chaudes ou s’en font des colliers ; l’abbé Montanus, le jour de son départ, tranche les doigts de la fille qu’il a engrossée pour lui faire lâcher prise et l’empêcher d’embarquer à ses côtés. Avec délectation et sans délicatesse, entre vérité historique et obsession de l’imaginaire, le périple de Court Serpent interroge sa propre fin. Annulant bien et mal, la nature ne finit-elle pas par faire elle-même œuvre de morale ?

Court serpent
Bernard
du Boucheron
Gallimard
133 pages, 12,90

Contre-courant Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°56 , septembre 2004.
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