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Domaine français Être lion ou ange

septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56 | par Richard Blin

Bâti à l’image de l’amour impossible entre l’Orient et l’Occident, le premier livre de Jean-Louis Magnan impose une voix déjà très personnelle.

Belle découverte que ce premier livre de Jean-Louis Magnan dont on sait simplement qu’il est né en 1970. Livre plutôt que roman car il s’agit ici d’une ode à la plasticité de la littérature, à son aptitude à allier la mort au sexe, l’expérience brute à la plus folle des chimères. Un livre qui mêle érudition et méditation, essai et roman, (un essai qui serait une tentative de « raisonnement sur les exercices du malheur. Une tentative de peser les morts et les mots qui émaillent nos vies »), et qui érige la fiction en « volonté d’insuffler à une chronique des possibles, un inventaire impossible de ce qui aurait pu se produire ». Le tout est pris en charge par un narrateur fictionnant l’acte même d’écrire sur soi en changeant constamment de masque, en glissant résolument d’une identité à une autre, et ce, à rebours de tous les narcissismes nombriliques. « J’invente un livre qui en contiendra plusieurs, une baleine et son Jonas, des personnages différents qui sous les masques se ressemblent tous, banc de sardines. Et des intrigues à l’aura de sang frais pour exciter le nez du grand prédateur, mon requin-désir ».
En faisant jouer les histoires contre l’Histoire, comme Schéhérazade, et en optant pour une forme délibérément a-cinématographique (« La corruption de la littérature par la forme cinématographique conduit nos livres à se montrer comme on soulève une jupe. (…) Pas étonnant que tant de jeunes femmes sans talent participent aujourd’hui à cette danse castratrice. Elles lèvent la jupe, de tout temps elles sont ce qu’on veut voir. Elles ignorent que le processus des mots procède plus du toucher que de la vue »), Jean-Louis Magnan fait de son Anti-Liban une sorte de Mille et Une Nuits des temps modernes, une machine à entretenir l’attente, à différer la mort. Très efficace sa mise en fiction accentue les effets de réel, implique des situations où sont manipulées les grandes forces secrètes qui meuvent le temps et l’amour, la chair et les mots.
Composé de 51 séquences, véritable tissu d’harmoniques émotives et sensuelles, Anti-Liban tient autant du lâchez-tout des appareillages au loin que de l’autobiographie fictive. Un livre qui mystifie pour mieux démystifier, pour mieux stigmatiser l’impossible accord entre la chair et la pureté comme entre l’Orient et l’Occident. « J’invente le monde tel qu’il sera : politisé ou secret, sans frontières, tournant autour de la seule certitude que nous sommes des animaux. »
Audacieux, lucide, procédant par sauts et ruptures, silences et aveux, visions suspendues ou scènes de guerre, le texte pourrait être comparé à une partition qui ne serait composée que de moments forts. Sorte de structure musicalisée montrant à travers les cercles de l’amour, de la guerre, et de l’art, combien il est vain de vouloir concilier la passion et la raison, la débauche et l’ascèse, l’Orient et l’Occident. Anti-Liban est innervé par ces instances secrètes, ces expériences de l’impossible, ces impasses et ces échecs qui forment la chair même de l’existence et dont ce qui se passe, ou s’est passé, en Haïti, ou au Liban est la métaphore à peine voilée.
Antagonismes mortels, dissymétries majeures, amours déçues, qu’incarnent en effet tout ce qui sépare l’Orient de l’Occident. À commencer par le sens secret à donner aux actes. « L’Occident a le culte des réalisations figées, l’Orient celui de l’action délétère, fugace. (…) L’action ici (en Orient) ne dépend pas de son achèvement. Action vécue comme unique moyen pour l’homme de transcrire dans le réel les deux concepts qui, ici, préoccupent : honneur et sens de la destinée ». Même fossé en ce qui concerne la pensée. Là où la pensée occidentale est un processus de transmutation, de maturation des éléments, à l’image du raisin qui se transforme en vin, autrement dit là où « L’Occident fermente », « l’Orient distille ». « Au Liban, une énergie extérieure à l’homme est nécessaire : on pense avec l’aide de Dieu. La recherche de ce feu, connexe de la pensée orientale, occupe tout le monde. (…) L’Orient plonge à chaque prière une main dans les flammes pour éprouver sa sainteté. Beyrouth est cette main carbonisée sur laquelle la chair repousse autour des os noircis ». Alors comment s’étonner que, derrière ces différents niveaux de réalité, les mots, et donc la vie, n’aient pas le même sens. « Perdition, perversité deux mots qui ne sont pas d’Orient ; il faut dire cruauté et erreur ».
Anti-Liban vogue sur ces oppositions, porté, poussé par la tension du désir et la puissance associative du rêve, naviguant entre la joie de sur-vivre dans un monde écroulé, et le désespoir d’avoir à vivre parmi les ruines de ses rêves. Un livre fort et intelligent, qui semble annoncer la naissance d’un véritable écrivain.

Anti-Liban, de Jean-Louis Magnan
Verticales, 255 pages, 16

Être lion ou ange Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°56 , septembre 2004.
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