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Domaine français Desportes, la langue fauve

septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56 | par Richard Blin

Dans un face à face avec l’absolu de l’enfance et du désir, l’auteur de « Dansant disparaissant » écrit au bord du souffle, de la mémoire et de l’abîme.

Dansant disparaissant

Bernard Desportes écrit comme on se fraye un passage avec exaltation et lucidité, angoisse et rage. Il écrit contre, il écrit pour aller au bout de ce qui l’emporte, au bout du désir ou du désastre. Il sait que c’est en vain, que c’est comme creuser une issue vers rien, mais il y va quand même. Sa phrase tourne, s’enfonce, implacablement, cruellement, voluptueusement. Elle tourne autour de ces vides qui nous habitent et nous hantent manques, pertes, ratages, enfance. L’enfance surtout, l’enfance perdue qui ne cesse de résonner de nos premiers corps à corps avec le monde et avec l’autre ; l’enfance que nous portons en nous comme une légende, et que l’écriture parfois même si c’est très provisoirement nous permet de retrouver. « Dans tous ces récits écrits et publiés à tort et à travers, dans toutes ces lettres à autant d’infidèles je n’aurai parlé que d’un enfant qui tente de se battre contre la disparition de son enfance, et n’aurai donné vie qu’à des personnages fictifs à commencer par moi-même jouant leur mort comme un coup de dé ».
Romancier, poète, essayiste (Koltès, André du Bouchet), fondateur de la revue Ralentir Travaux, Bernard Desportes n’ignore pas que tout est toujours à recommencer, qu’écrire revient à habiter autrement son nom ou même un autre nom. Après Brèves histoires de ma mère (Fayard, 2003), où il affrontait l’insoluble question du couple mère et fils (question aussi vaste que celle du Mal), il s’attaque avec Dansant disparaissant à un autre « gros morceau », à l’enfance qu’il ne veut pas voir disparaître, et à la malédiction qui fait qu’en « écrivant, je me perds en perdant le monde ». Alors Vlad qui sera tour à tour narrateur et sujet, enfant, adolescent, adulte, Nègre, Blanc, ne cesse de fuir et de se fuir… « fuir cette ombre grandissante, cette ombre noire qui nous dévore, fuir sans cesse, sans tarder, sans s’attarder, sans relâche, pour sauver sa peau, n’est-ce pas, en fin de compte, on peut dire, oui, c’est ça, sans doute, rien que ça, sauver sa peau, sinon quoi d’autre, non pas par choix, oh non, pas choix, mais contraint, voilà, contraint de fuir, s’enfuir, même si pas de sauvetage… »
Divisé en trois parties (« Ici », « Ailleurs », « Nulle part », placées respectivement sous les auspices de Kafka, de Beckett et d’André du Bouchet, à qui le titre est emprunté), le livre, comme autant de spires autour d’un point d’abîme, ne cesse de s’ouvrir et de s’offrir au vertige de son propre tournoiement. Ce ne sont qu’ « histoires sans horizon qu’il faut vivre sans fin dans le silence », ou « bribes d’histoire comme autant d’étapes sur une route ». C’est qu’il n’y a ni commencement ni fin, « je passerai sans que rien ici ailleurs nulle part1 ne s’achève ». Effectivement passent les garçons de passe ou de passage, comme passent et repassent l’enfance, l’adolescence, le Nègre, le Blanc, chacun aux prises avec le désir, la peur, l’attente, chacun subissant à sa façon l’appel répété, lancinant, de l’ombre, du désordre et du sang. Dans ce « foutu pays » du Veld, « brûlé le jour par le soleil et brûlé la nuit par les hommes en chasse et en manque » de rhum, de shit, de sexe, de sommeil, de douceur, le désir vise une sorte d’infini qui ne peut se manifester que dans la transgression des transgressions, là où la vie et la mort s’échangent, toutes limites confondues, dans la jouissance et le sang.
L’aura des corps, l’égarement, la valeur magique de la mise en danger, l’expérience extatique, le dénuement, tout ici contribue à faire de l’inavouable la source d’une écriture aussi haletante que syncopée, belle comme le corps désiré, épié, aperçu, « dansant disparaissant à travers les haies de buis, de ronces, dans l’air tremblé, sous le soleil, dans l’après-midi immobile et lourd ».
Cette manière de conjuguer le sacrifice à l’extase, de dénuder le désir jusqu’en son foyer le plus noir, s’accompagne d’une féroce satire de la famille (« cette odeur écœurante des matins en famille la niaiserie recuite des propos les insupportables satisfaction et frustration de ces vies surveillées et soumises sous le joug atroce d’un obligatoire bonheur… »), et des travers de notre société dont la ville de Zglard concentre toutes les tares. Une ville où les rats sont la doublure des habitants, « leur part grise », où le taux de blancheur de la peau doit dépasser les 91,5 %, et qui n’offre que cette tonalité binaire : le marteau-piqueur ou Céline Fion… qui représente, pour la femme zglardaise, une sorte de quintessence de la perfection, « l’œil rond et courroucé de la pintade, le nez inquisiteur d’un ministre de la famille, le cheveu jaune et cette voix atroce vulgaire et hurlante (…), la vie en permanence étalée sur les trottoirs des magazines, le scoop à chacun des truismes débiles qu’elle déblatère à longueur de news, toujours flanquée de l’abruti qui la manage et lui sert de mari, gorille dégénéré en cravate vert pomme qu’elle plaque et reprend 4 ou 5 fois par an, les gens, ici, à Zglard, adorent ça… »
Virulents, nus ou coupants, les mots s’imbriquent en une écriture à haute voix qui progresse par pulsations ou ondulations, par ressassements ou reprises, houle coupée de silence, ponctuée de nuit, mélodie tournante à l’image de la circulation du désir, de ce qui le met en mouvement, pousse à partir à l’aveuglette dans le noir, à longer des abîmes, en dansant disparaissant.

1 C’est nous qui soulignons.

Dansant
disparaissant
Bernard Desportes
Fayard
255 pages, 17

Desportes, la langue fauve Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°56 , septembre 2004.
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