La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Orphée aux galères

septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56 | par Lucie Clair

Vincent Borel orchestre l’épopée d’une chanson comme dernier rempart contre l’impuissance des hommes dans une Europe déchirée.

1541. L’époque est celle des lendemains de l’Inquisition et du surgissement des hérésies modernes, Luther en tête ; chaos des grands empires craquelants d’une planète enfin circonvenue, déjà aux prises avec ses déséquilibres économiques. L’Amérique est découverte, les trésors circulent à la surface des océans, les puissants s’entredéchirent avec une foi mordante, au gré des revers d’alliances. Époque où il s’agissait plutôt de s’arranger les faveurs de son Dieu (ou échapper à son courroux), que de chercher la mise en œuvre de son libre arbitre par la vertu d’une conscience éveillée et le système lui-même savait jouer sur ces peurs. Charles Quint vieillissant, François Ier le versatile, Soliman dépêchant son corsaire Barberousse sous haute surveillance, Henry VIII en toile de fond tactique les protagonistes de la scène terrestre avancent leurs pions sous couvert de religiosité. Prémisse de notre monde d’aujourd’hui ainsi que Vincent Borel nous le suggère malicieusement, n’hésitant pas à baptiser le raïs « le plus acharné » de Barberousse Alcaïda, découvreur et poseur de bombe avant l’heure.
Au sein de ce carcan de croyances, trois hommes ballottés par les flots à bord d’une galère sont ainsi soumis aux caprices des dieux réunis en une « Organisation des nés uniques », dite ONU deus ex machina savoureux qui place d’emblée Vincent Borel sous la protection d’Homère et de son Iliade. Lorsque la fantaisie divine les délaisse, c’est pour qu’ils redeviennent le jouet de leurs représentants sur terre rois, papes, empereurs et commandeurs des croyants. Ne leur reste plus qu’à tenter de forger un espace dans lequel la dignité de l’homme serait l’ultime rescapée d’un naufrage collectif. Face aux instruments de contrôle des volontés, s’oppose l’acte orphique de renoncement et d’amour qui conduit, par la seule voix de la sincérité à trouver en soi le courage de les braver. S’élèvent alors Tous les regrets, Je puis bien regretter, Sur tous regrets, et enfin Mille regrets, chants conçus par maître Josquin pour divertir l’empereur, repris par son élève devenu chantre châtré maître de la chapelle impériale, et qui serviront de réconciliation avec le bey d’Alger. Les regrets ainsi célébrés deviennent le lien qui réunit les hommes, toutes conditions confondues, dans la même aspiration à transcender le chagrin et l’impuissance. Peu à peu, ces Mille regrets s’imposent en ars perfecta, celui du cœur souffrant ; à l’origine une « arme(…) et alors ils se dressèrent dans sa tête comme la verge d’Aaron », ils finissent par s’offrir, tel un psaume, en baume à l’empereur perclus. Ultime recours que celui de la célébration, y compris de celle de la fragilité, pour redonner force de vie.
Celle-ci s’inscrit dans un univers terrible, truculent, chatoyant, où Vincent Borel renvoie dos à dos, avec un humour dévastateur mais raffiné, toutes les ignorances nées des certitudes, qu’elles surgissent de subtiles études ésotériques comme de la foi du charbonnier, ou encore de calculs politiques élaborés. Au service de son dessein car dessein il y a dans ce roman moderne aux allures de fresque historique une langue charnue, drue, réinvente la fable épique, tour à tour précieuse et familière, se jouant des attentes du lecteur ; « La chiourme est en brochette sur les rames, en canapé sous les poutres. Le château arrière, arraché du reste de la galère, s’enfonce avec un Figueroa cloué par ses bottes aurifères au plus haut du pont. Gombert, insubmersible adiposité, ballotte vers une plage rocailleuse où Garatafas, nageur émérite, a déjà traîné un Sodimo qui s’est accroché à lui plus fermement qu’une moule à son rocher. » On voudrait une tonalité qui perdure dans la phrase, quand celle-ci, ingénument, bascule, pour mieux nous faire entrevoir les limites de ces espoirs. L’impermanence s’insinue au travers du souffle, nous laisse suspendu, en émoi de l’harmonie contenue dans une séquence ramenée à sa nature éphémère, et humaine.

Mille regrets
Vincent Borel
Sabine Wespieser éditeur
400 pages, 22

Orphée aux galères Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°56 , septembre 2004.
LMDA papier n°56
6,50 
LMDA PDF n°56
4,00