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Arts et lettres Les couleurs du vivant

septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56 | par Richard Blin

Peintre-conteur, imagier, inclassable, Gérard Lattier dit et peint le rugueux du vécu comme les floraisons du vivre. Avec humour et amour.

Le Voyage en peinture

Il a le regard malicieux, la parole ouverte et revendique la seule vraie liberté, « celle du dedans de la tête ». Il aime la garrigue et les histoires vraies. En d’autres temps il aurait été troubadour, et les couleurs dont il illumine ses histoires brillent de cette lumière qui signe l’accord entre le dit et le montré, le peint et l’écrit. Près de cinquante ans, à présent, qu’il fait rimer syllabes et couleurs, passé et présent, manière d’être et peinture. Cinquante ans qu’il manie brosses et pinceaux à la manière d’un peintre florentin appréciant la belle ouvrage. Cinquante ans qu’il voyage en fantasmes, en enfance, en fait divers, dans la guerre, dans la paix ou parmi les bêtes et les amis. Loin du conceptuel ou du minimal, Gérard Lattier se veut et se revendique faiseur-montreur-diseur d’images peintes.
Né à Nîmes en 1937, il perd très tôt son père. « En 1944 mon père est mort sous les bombes américaines et ça a été la misère ma mère demandait rien, aussi on lui donnait rien ». Puis ce sera le Collège Technique, « pour être cordonnier, et j’étais gros au milieu des maigres et on me faisait caguer pour ça ! Heureusement il y avait Mon Pays d’Ardèche et les vacances ». Il commence à gagner sa vie en nettoyant les toilettes de la piscine municipale de Nîmes, puis refusant de faire la guerre d’Algérie, il est interné « avec un certificat de folie militaire ». « Je me suis retrouvé chez les fous sans lacets ni cravates des fois qu’on se serait pendus ! Mais j’ai pu peindre tout mon saoul c’était même la seule fois que la société m’a pris en charge et m’a nourri pour faire des tableaux. Quand je suis sorti de là j’étais moitié calu mais je savais que j’allais peindre sans me censurer ».
Désormais employé comme dessinateur à la mairie de Nîmes, il ne va plus cesser de peindre. La nuit, après le travail. Il peint des monstres, des êtres hybrides, tout un univers fantastique à la Goya, à la Bosch, à la Dado. Des huiles, des gravures à l’eau-forte, des dessins à l’encre de Chine, des lavis, qui célèbrent des désirs inavouables, des tentations interdites, l’homme en proie à sa Bête intérieure et à ses démons : des tentateurs, des tourmenteurs, des dévoreurs, des sacrificateurs. Jusqu’à ce qu’une dépression l’arrête (on est en 1965), une dépression « qui se porte aux yeux, je ne peux plus fixer, je ne supporte plus la lumière, je ne bande plus, le corps refuse d’aller plus loin. Merde ! : coureur à pied, j’aurais sans doute été paralysé des jambes ». Heureusement, il rencontre Annie qui veut bien de lui dans l’état où il est. « Annie m’a ramassé et m’a fait un petit et ça ! c’est une bonne raison de vivre ! » Il guérit, reprend les pinceaux, réinterprète en guise d’exorcisme La Crucifixion de Grünewald, et peut alors s’engager dans une autre voie.
Sur des panneaux de bois retirés des bains-douches municipaux de Nîmes et couverts d’une toile marouflée, il peint ses premiers ex-voto, « à la gouache, parce que je peins dans ma cuisine et que la peinture à l’huile c’est beau, mais ça pue ». Des tableaux pleins d’humour, à mille lieux de sa période noire dont ne subsistent que des ciels souvent chargés et quelques démons volants. Dans la foulée, l’envie, et le besoin, lui viennent de redonner vie à des scènes de son enfance, de peindre les histoires que lui racontaient sa « mémé », ses tantes, ses cousins ou ses amis. Des histoires libertaires et libertines, des anecdotes, des accidents, des facéties, des faits divers. Pour ce faire il condense d’abord l’histoire, la scénarise, l’organise de manière à pouvoir être contée plus que lue. Car Lattier a besoin de la voix, de la proximité qu’elle établit, de la présence qu’elle suppose. Et cette histoire, une fois mise en forme et écrite en un français du sud, savoureux, coloré, roulant dans son flux de vieux mots du patois occitan, il s’agit ensuite de la transférer dans le regard, de la mettre en images, de la peindre en théâtralisant les événements, en usant des techniques de la bande dessinée comme du sens de la dérision et du merveilleux. D’où une imagerie édifiante, un art évocatoire servi par un étonnant vitalisme chromatique.
Lattier ne vend pas ses histoires peintes. Elles sont faites pour se fixer dans la mémoire collective, pour tenter de lutter un peu contre le silence ou l’amnésie collective. Alors, lui qui maîtrise parfaitement la technique des grands maîtres de la figuration, il n’hésite pas à jouer des effets de la disproportion, de la fausse perspective, des anachronismes (ce qui donne à sa peinture un faux air naïf), pour toucher, interpeller son vis-à-vis, l’obliger à réagir, à prendre la distance nécessaire à la réflexion. Libérant les émotions, il aimerait dénouer les langues, faire partager sa soif d’équité, sa haine de la guerre, son mépris des hiérarchies. Une sorte de gai-savoir et de cri du cœur qui en appelle à la fraternité et au bon sens de l’autre.
C’est ce parcours, cette démarche que rassemble Le Voyage en peinture. Plus de 180 tableaux auxquels il faut ajouter les 42 tableaux de l’histoire de La Bête1 ici reprise en vignettes. (« C’est le voyage au pays de la Bête du Gévaudan. Ce voyage-là, il me dure quatre ans avec, au bout du voyage, la Bête qui me tend le miroir, je me suis regardé dans le miroir, j’ai demandé Pardon »). Un livre débordant de couleur et de truculence, un livre qui met de bonne humeur et se révèle donc particulièrement précieux.

1D’abord publié aux Éditions Candide, à Lavilledieu, 1993.

Le Voyage en peinture, de Gérard Lattier
Éditions du Chassel, 322 pages, 55

Les couleurs du vivant Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°56 , septembre 2004.
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